« Pour une raison quelconque, dès que j’ai vu cet endroit, j’ai su que je pourrais y travailler. Les lieux ont une forte influence sur moi, je suis très sensible à l’atmosphère d’une pièce »
Francis Bacon
L’atelier de Francis Bacon à Dublin
Francis Bacon (1909-1982) est un des peintres majeurs de l’après-guerre. A partir de 1961, il installa son atelier dans le quartier de South Kensington à Londres, qui lui servait à la fois de domicile et de lieu de travail. Il resta intact jusqu’en 1998, pour être reconstruit à l’identique à la Hugh Lane Gallery of Modem Art de Dublin, ville natale du peintre, où l’on peut le visiter depuis 2001.
Que nous donne à voir l’intérieur de cet atelier ? Il y règne un désordre indescriptible, véritable « capharnaüm » jonché d’une montagne de déchets, ne laissant aucune place libre. L’espace de travail est saturé par l’ordure, les murs sont bariolés de peinture, on y voit des toiles déchirées, des caisses vides, abandonnées, de champagne millésimé. C’est un véritable enchevêtrement de brosses et de pinceaux, de lambeaux d’étoffe et de pots de peinture, un bric-à-brac de livres, de lettres, de photos et de journaux déchirés.
Francis Bacon qualifiait cette minuscule pièce de « taudis » où le fatras du lieu pourrait faire penser à l’incurie d’un syndrome de Diogène. Or, nous sommes dans l’atelier d’un peintre, un lieu de création et c’est comme s’il : « se crée un monde propre, ou, pour parler plus exactement, il arrange les choses de son monde suivant un ordre nouveau, à sa convenance[1] ». Alors que « l’obsessionnel nettoie. Bacon entasse[2] ». C’est comme s’il s’était crée un environnement de travail où son « chaos organisé » lui permettait de nourrir son processus créatif : « Il n’y a qu’ici que je peux peindre, dans mon atelier. J’en ai eu beaucoup d’autres, mais je suis ici depuis presque trente ans et il est idéal pour moi. Je ne peux pas travailler où tout est trop rangé. Il est plus facile pour moi de peindre dans un endroit comme celui-ci, qui est un vrai désastre. J’ignore pourquoi, mais ça m’aide. »
En contemplant ce « désastre », derrière une vitre, comme il recommandait de mettre ses tableaux sous verre, ne peut-on pas considérer son atelier comme une création, une œuvre d’art en elle-même ?
[1] S. Freud, L’inquiétante étrangeté et autres essais, Ed Folio Essais, Paris, 1985, p. 34.
[2] Didier Anzieu, Michèle Monjauze, Francis Bacon, Ed, Archimbaud-Adda, Paris, 1993, p. 27.