« …le divan est la meilleure des chambres d’écho – en ce qui me concerne, divan est à prendre comme métaphore car au cours de mon analyse, les séances s’étant toujours déroulées en face à face, je ne m’y allongeai jamais »
Pierre Rey, « Une saison chez Lacan »
Le divan du psychanalyste
Quel autre métier est aussi intimement lié au lieu de sa pratique ? C’est par exemple le cas des ateliers d’artiste dans lesquels la lumière ou les dimensions de la pièce jouent un rôle important dans la production des oeuvres qui y sont produites. C’est manifestement le cas de la psychanalyse où l’atmosphère unique de chaque cabinet influence la pratique, voire y participe. Tout ceci contribue à l’élaboration du discours des patients et au travail transférentiel qui s’y déploie.
L’ouvrage « Images de divans. 16 psychanalystes nous ouvrent leurs portes »[1] de leurs cabinets est l’occasion de pénétrer dans un lieu où l’analyste passe dans le quotidien de sa pratique le plus clair de son temps. Or, il y donne forcément quelque chose à voir de lui-même, même si son métier lui impose d’observer une certaine neutralité.
Dès lors, on peut se demander si photographier un cabinet d’analyste et ses objets, n’est pas en quelque sorte une façon pour l’analyste de rendre « extime »[2] un lieu qui, par définition, relève du registre de l’intime voire de la plus grande intimité. Or, la vie intime, la vie privée, c’est bien de cela dont il est question quand on vient consulter un psy. N’y vient-on pas pour y déposer entre autre son « misérable petit tas de secrets »[3] dont nul ne veut rien savoir ?
A quoi peut bien ressembler un cabinet d’analyste ?
On imagine un fauteuil, des livres dont les titres indiquent ses centres d’intérêt, parfois des tableaux ou des gravures, un bureau. Last but not least, on y verra un meuble et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit d’un divan où vient s’étendre l’analysant pour être entendu. Tout ce « décor » participe du cadre, mais comme le souligne Jean-François Solal : « Si le cadre de la cure ne se laisse pas réduire à son décor, encore faut-il un lieu pour que se tienne, et se soutienne, une parole que le patient adresse à cet étranger. »[4]
De plus, le cadre se trouve engagé dans sa fonction de contenant des processus psychiques qui sont à l’œuvre dans le travail analytique. Il s’inscrit également dans le registre de la temporalité, par le nombre des séances, leur fréquence et la durée régulière de chacune.
Quel est le rôle du divan dans la psychanalyse ?
Pour amorcer une réponse sur le bien-fondé du dispositif divan-fauteuil, partons de ce que dit Freud dans l’ouvrage La technique psychanalytique : « Je tiens à ce que le malade s’étende sur un divan et que le médecin soit assis derrière lui de façon à ne pouvoir être regardé. Cet usage a une signification historique, il représente le vestige de la méthode hypnotique d’où est sortie la psychanalyse. Mais c’est pour plusieurs raisons qu’il mérite d’être conservé. Parlons d’abord d’un motif personnel, mais probablement valable pour d’autres que pour moi : je ne supporte pas que l’on me regarde pendant huit heures par jour (ou davantage). Comme je me laisse aller, au cours des séances, à mes pensées inconscientes, je ne veux pas que l’expression de mon visage puisse fournir au patient certaines indications qu’il pourrait interpréter ou qui influencerait sur ses dires. »[5]
Le divan a donc une double fonction :
Pour l’analysant, « le divan est un vestiaire où l’on dépose son corps, où l’on se dépouille du corps actif, où l’on quitte aussi le corps imaginaire, l’image de soi. »[6] De sorte que le sujet perd de sa visibilité et de sa capacité d’agir pour devenir « pur parlant »[7].
Quant à l’analyste, le divan lui permet d’être libéré de la contrainte de supporter toute une journée le regard de ses patients sur lui. Il s’agit également d’un geste technique qui est là pour susciter la parole intime et favoriser une écoute particulière et attentive : « association libre » du côté du patient et « attention flottante » du côté de l’analyste.
Le divan est-il nécessaire dans le processus analytique ?
Si le divan est devenu le symbole de la psychanalyse, l’objet divan ne définit pas en tant que tel la psychanalyse. Pour preuve, il y a des analyses qui se déroulent parfaitement en face à face. Certains patients se sentant plus à l’aise dans ce dispositif, ce qui n’enlève rien à la valeur de leur travail psychique.
« Ne pas s’allonger sur le divan » ne signifie aucunement qu’il s’agisse d’une forme dégradée ou insuffisante de psychanalyse. Gardons-nous d’une part de tout « fétichisme du divan » et d’autre part de toute sacralisation de la situation analytique classique (divan/fauteuil), dite « cure type ».
La « cure type » n’est pas généralisable et la question d’un aménagement ou d’un ajustement du cadre se pose au cas par cas. Il doit être conçu et adapté en fonction des besoins des patients et des cliniques singulières auxquelles l’analyste est confronté. Par exemple, certains patients vivent mal l’effacement de la personne de l’analyste derrière le divan. Ne plus avoir de regard auquel s’accrocher peut les inhiber voire les angoisser. Le fait d’être allongé, peut par exemple être ressenti comme une forme de soumission à l’autre. Il est patent de constater que certains patients craignent que le psy « fasse le mort » ,c’est-à-dire qu’il se contente d’écouter sans intervenir.
Au final, la question n’est pas d’imposer au patient un dispositif confortable pour l’analyste mais d’ajuster le dispositif, afin qu’il présente plus d’avantages que d’inconvénients pour libérer la parole du sujet.
Nous laisserons le mot de la fin au psychanalyste britannique Donald Winnicott qui disait : « Analyser me procure du plaisir, mais j’anticipe toujours avec joie la fin de chaque analyse. L’analyse pour l’analyse ne signifie rien pour moi. Je pratique l’analyse parce que le patient a besoin de passer par là. Si le patient n’a pas besoin d’analyse, je fais autre chose.« [8]
[1] Images de divans. 16 psychanalystes nous ouvrent leurs portes. Ed Hermann, Paris 2023.
[2] Le terme « extimité » est une invention de Jacques Lacan. L’extime, c’est ce qui est le plus proche, le plus intérieur, tout en étant extérieur. Il s’agit d’une formulation paradoxale, construite à partir du terme « intimité ».
[3] Citation de André Malraux : « Pour l’essentiel, l’homme est ce qu’il cache : un misérable petit tas de secrets ».
[4] Ibid Jean-François Solal, L’esprit du lieu, p. 94.
[5] S. Freud, La technique psychanalytique, Ed PUF, Paris 2002.
[6] Jacques-Alain Miller, Interview dans Libération, 3 juillet 1999, série « An 2000. Les objets du siècle ».
[7] Ibid
[8] Donald Winnicott, Les visées du traitement psychanalytique, 1962.