« Nos silences. Apprendre à les écouter » (1) de Laurence Joseph
« Le silence est fait de paroles que l’on n’a pas dites. »
Marguerite Yourcenar
Le silence est pluriel
Ce nouvel essai de Laurence Joseph, psychologue clinicienne et psychanalyste, nous invite à interroger nos silences. Avec sensibilité et poésie, elle explore les différentes versions du terme, silence de vie et silence de mort, silences des non-dits comme dans les secrets de famille, silence du manque, de la rupture, du viol, de l’inceste, de l’incompréhension, du malaise ou de l’effroi. Non seulement le silence est pluriel mais ne souffre d’aucune définition simple et univoque. En outre, il nous confronte à ce paradoxe entre taire, se taire et faire taire. Une remarque liminaire s’impose, le silence fait partie de la parole, il n’en est pas dissocié : « il est le maître du discours »(2).
La mise en récit
« Quel rôle le silence occupe- t-il dans nos vies ? »(3) Il peut tout autant être recherché et consenti, qu’imposé avec un « Tais-toi ! » ou « Ne répète pas, ça pourrait faire du mal à ta mère » qui enferme un sujet dans « le silence coupable du secret »(4). Or, protéger ou épargner l’autre en gardant le silence, ne fait pas disparaître le drame de l’inceste par exemple. La brèche est ouverte où s’écoule des forces de destruction inconscientes, une « bombe à retardement » qui tapie dans l’ombre attend l’heure de son explosion. Est-ce que la levée de la « silenciation » peut permettre à un sujet de sortir de cette « pathologie du silence » ? Comment donner forme à l’informe, à l’innommable, à l’indicible ? Pour illustrer son propos, Laurence Joseph pioche dans la littérature contemporaine avec entre autres les ouvrages, Triste Tigre de Neige Sinno ou encore Le consentement de Vanessa Springora. Chacun de ces témoignages, dénoncent à sa façon un abus, une emprise. Ainsi, cette mise en récit du traumatisme vient en quelque sorte transformer des douleurs muettes en paroles libératrices. Ajoutons tout de même, que ces témoignages ont fait beaucoup parler sur fond de loi du silence. Ils sont en quelque sorte une métaphore du bruit. L’auteure voit dans cette possibilité du récit, le partage d’une expérience, une façon de sortir du cri où « il y a des mots et un regard en face qui bouge… ;»(5). Ainsi, « Ces histoires deviennent nos histoires »(6) Si seulement, ces récits avaient le pouvoir de briser l’engrenage de la silenciation.
Deux déesses du silence
Pour déplier sa pensée, l’auteure s’appuie sur la mythologie romaine et se penche sur deux déesses du silence : Angerona et Tacita. La première, représentée avec un baillon sur la bouche ou un doigt sur les lèvres, symbolise le silence choisi. La seconde, a vu non seulement sa langue coupée par Jupiter, mais sera violée par Mercure. Ainsi, Tacita incarne : « un silence contraint, imposé par la barbarie d’un homme, mais aussi un silence exploité parce qu’il est l’occasion d’un viol avec la garantie de son impunité »(7) Or, par cet acte barbare, ne s’agit-il pas de mettre une femme « hors d’état de nuire » ? Combien de « Tacita » se refusent encore à nommer l’indicible puisqu’elles n’ont pas pu dire non à leur agresseur ? Ce dernier a juste confondu « le silence de la sidération comme un bon pour accord »(8). Finalement, Laurence Joseph nous fait sentir que nos silences sont bavards et que parfois il s’agit juste de tendre un peu l’oreille pour écouter leurs murmures ou leurs fracas.
Laurence Joseph est psychanalyste et psychologue clinicienne. Elle est enseignante vacataire à la Faculté de médecine de Paris V Descartes, et rattachée à l’Institut hospitalier de psychanalyse (IHP) de l’Hôpital Sainte-Anne.
Elle a publié La chute de l’intime (Hermann, 2021).
1 Laurence Joseph, Nos silences. Apprendre à les écouter, Ed Autrement, Paris, 2025.
2 P.24
3 P. 9
4 P.9
5 P.157
6 P.157
7 P.154
8 P. 163