Le burn-out, un syndrome d’épuisement professionnel

 Origine du terme burn-out

Le terme burn-out a été introduit par Herbert J. Freudenberger, psychiatre américain, qui dans les années 70  travaillait à New-York dans une free clinic[1] auprès de toxicomanes. Les médecins psychiatres utilisaient alors ce terme “burn-out” pour qualifier l’état de patients “cramés” par l’abus de drogues dures. Ce lieu de soin exigeait une grande disponibilité des soignants, lesquels montraient aussi des signes d’épuisement émotionnel et mental.

Herbert Freudenberger travaillait à un rythme frénétique, assurant sa consultation à l’hôpital, avant de rejoindre la free clinic, animer les réunions du staff et rentrer enfin chez lui à 2 heures du matin. Il s’est appliqué le terme burn-out à lui-même, lorsqu’un jour, saisi par un épuisement et une forte angoisse, il n’a pu se lever pour aller travailler. Grâce à son auto-analyse, Freudenberger a mis un nom sur son malaise jusqu’à y voir une analogie avec les symptômes de ses patients toxicomanes. Le burn-out est une maladie du “trop”, comme la toxicomanie.

En 1987, il publie: L’épuisement professionnel: la brûlure interne[2] inaugurant les premières réflexions théoriques sur le sujet. Il livre au début de son ouvrage son explication du terme :

“ En tant que psychanalyste et praticien, je me suis rendu compte que les gens sont parfois victimes d’incendie, tout comme les immeubles. Sous la tension produite par la vie dans notre monde complexe, leurs ressources internes en viennent à se consumer comme sous l’action des flammes, ne laissant qu’un vide immense à l’intérieur, même si l’enveloppe externe semble plus ou moins intacte.”[3]

Freudenberger est le premier à avoir systématisé la notion et lui avoir donné une signification cohérente en sciences humaines. Il n’en est pas le créateur, car on trouve une autre occurrence du terme, cette fois littéraire, dans le roman de Graham Green: A Burnt-out Case, publié en 1961 et traduit en français par La saison des pluies[4], où le héros, Querry,  un architecte de réputation mondiale, fatigué par trop de travail, de femmes et de succès, plaque tout pour se retrouver dans une léproserie au Congo. Le romancier établit un parallèle entre l’état de son héros et celui des lépreux. Le terme “ burn-out ” désigne médicalement, le stade où la maladie s’arrête après avoir “brûlé” tout ce qu’elle pouvait dans un corps. Les lépreux portent toujours les stigmates de la maladie mais ne sont plus contagieux.

Freudenberger comme Green ont recours à la métaphore comme outil de compréhension, pour comprendre l’invisible à partir du visible.

Néanmoins, l’usage du terme est bien différent chez ces deux auteurs, puisque Freudenberger utilise la métaphore de l’incendie pour décrire une “surchauffe”, un feu intérieur dévastateur qui laisse le sujet en prise à un vide abyssal, alors que pour la littérature le burn-out est une phase de guérison qui donne à ce terme une puissance de transformation inattendue, une forme de catharsis pour le héros.

En 1981, les travaux de Christina Maslach, professeur de psychologie à l’Université de Berkeley en Californie et auteur du “Maslach Burnout inventory” (MBI), test mondialement utilisé, évalue des travailleurs engagés dans des “relations d’aide”, a contribué à la popularisation du concept.

Le burn-out correspond à un processus qui recèle trois dimensions différentes :

  • Une dimension d’épuisement, comme une réaction à un stress excessif. L’individu se sent “ vidé, exténué et incapable de se détendre et de récupérer”[5].
  • Une dimension de dépersonnalisation, comme par exemple l’apparition de jugements cyniques. Les personnes préfèrent garder une attitude froide et distante vis-à-vis de leurs collègues et s’impliquent moins dans le travail. Ce cynisme correspond à une protection; il est le signe que l’individu ne se fait plus d’illusion quant à la valorisation de son travail.
  • Une dimension d’inefficacité : l’individu a l’impression que chaque nouveau projet s’accompagne de difficultés insurmontables et, de ce fait, il perd confiance.

Les travaux de Christina Maslach ont eu l’avantage de fournir aux recherches sur le burn-out l’assise scientifique qui leur faisait jusqu’alors défaut. Ils prennent avant tout en compte les enjeux sociaux du burn-out et en font “ une véritable épidémie dans de nombreux pays du globe”[6]

Malaise dans le travail

Il existe une vieille expression française qui date du milieu du XIXème siècle et qui a quelque analogie avec notre burn-out contemporain : “ Faire suer le burnous” vient de l’époque coloniale, lorsque les colons faisaient travailler dur, voire très dur, leurs employés indigènes, donc porteur de burnous (grand manteau en laine, avec une capuche, initialement porté par les populations du maghreb). On imagine bien que faire travailler ces gens exagérément, dans les pays chauds, ne pouvait que les faire transpirer ou suer; mais l’image est plus proche de la viande que l’on fait suer en la cuisant pour en extirper un maximum de jus. Il s’agissait pour le maître de maîtriser le corps de l’esclave en instituant une discipline de fer. Cette attitude peut être comparée, avec quelques nuances, à celle de l’employeur essayant de tirer un maximum de son employé. On peut aussi penser au sens argotique de “faire suer” (euphémisme de “faire chier”), car il est certain que cette exploitation abusive doit sérieusement “emmerder” ceux qui la subissent.

La fatigue est consubstantielle à l’activité humaine. Or, dans le burn-out on parle d’épuisement professionnel; ce qui laisse à entendre que la personne ignore le signal de fatigue et va au-delà de ses capacités physiques et intellectuelles : il arrive qu’il se tue littéralement  à la tâche. L’écart se creuse entre son envie de repos et le désir de continuer coûte que coûte pour de supposées bonnes raisons ( argent, prestige, reconnaissance….); d’autant plus que l’informatique permet de travailler de chez soi, le soir, la nuit, les week-ends, en vacances. Cette “laisse informatique” a eu pour effet un débordement de la sphère professionnelle sur la sphère privée et par la même un grignotage sur les temps de repos. Il y a comme une négation de la fatigue, le sujet peut aller jusqu’à se doper pour “tenir le coup” et ainsi masquer l’épuisement coupable et la honte de ne pas répondre aux exigences qu’on lui impose ou qu’il s’impose à lui-même.

L’arrivée de nouvelles technologies, la transformation des méthodes managériales ont modifié le rapport au travail. Le burn-out, cette nouvelle “maladie de civilisation” comme l’appelle le philosophe Pascal Chabot[7], est clairement lié aux questions du progrès de la technologie où l’immédiateté, la rapidité, la frénésie, la rentabilité, la performance, l’efficacité deviennent des symptômes de l’organisation contemporaine du travail. Nos technologies ont modifié notre rapport au temps et à l’espace avec un sentiment d’accélération du temps où l’individu doit sans cesse s’adapter pour répondre aux critères de performance. Cette intensification du mode de travail, c’est-à-dire faire plus en moins de temps est une des promesses du management, mais cette accélération est devenue en même temps source d’aliénation. Pascal Chabot parle de “ troubles miroirs où se reflète ce qui est trop difficile à accepter”[8] et qui traduisent la vérité d’une époque. Néanmoins, le philosophe voit toute la limite de l’expression “pathologie de civilisation” dans la mesure où elle ne prend pas en compte la singularité du parcours d’un sujet et doit être complétée par un éclairage individuel qui relève de la médecine et de la psychopathologie.

Le burn-out n’est pas une maladie

Le terme burn-out, entré dans le langage courant, est synonyme d’épuisement professionnel. Le stress des années 1980 a fait place en ce début du XXIe siècle au burn-out. Or, cette affection, ce trouble fait désormais l’objet de nombreuses définitions mais dont les contours restent flous. Il ne décrit pas un état mais plutôt un processus : l’épuisement professionnel qui peut déboucher, au terme de plusieurs phases, sur un effondrement total de la personne et donc sur des maladies psychiques.

La difficulté réside en partie dans le fait que cette notion se trouve au croisement des domaines médical, psychologique et sociologique. L’existence du burn-out en tant qu’entité clinique à part entière fait toujours débat au sein de la communauté scientifique et n’est pas reconnue comme une maladie, contrairement à la dépression. Si on ne peut confondre les deux, le burn-out peut être la cause d’une dépression, si on le laisse s’installer. On parle plutôt de syndrome, c’est à dire d’un ensemble de signes, de symptômes, de modifications morphologiques, fonctionnelles ou biologiques de l’organisme, d’apparence parfois disparate mais formant une entité reconnaissable. Les causes internes ou externes de ces manifestations permettent d’orienter le diagnostic et d’expliquer la survenue de maladies psychiques et/ou physiques.

Les pathologies les plus connues qui peuvent apparaître dans un cas d’épuisement professionnel sont:

  • Les troubles musculo-squelettiques: lombalgies, cervicalgies, tendinites chroniques des membres.
  • Les troubles vasculaires : accès d’hypertension artérielle, syndrome coronarien, trouble du rythme.
  • Des décompensations psychiques sur le mode aigu : attaque de panique, prostration voire sidération, état d’agitation aigue, passage à l’acte suicidaire ou agression vis-à-vis d’autrui.
  • Des décompensations psychiques sur le mode chronique : dépression légère à sévère, syndrome anxieux généralisé…..

La variété de ces signes cliniques s’explique par le fait que chacun est propre à un individu donné : à son état de santé du moment, ses antécédents médicaux, son passé et son présent de vie…. Herbert J. Freudenberger disait que le “ burn-out est une maladie de l’âme en deuil de son idéal”[9]. En effet, derrière ce trouble se trouve aussi une question plus intime, plus cachée. Elle est caractérisée par la déception d’un individu face aux aspirations qu’il avait mises dans son orientation professionnelle. Cette difficulté particulière renvoie à une inadaptation non pas seulement aux conditions de travail mais à sa valeur. Ainsi pour aborder la question spécifique du burn-out il faudrait le repérer à la fois au niveau de la personne et dans le rapport à son travail.

Le burn-out pourrait-il se convertir ainsi en signal positif d’alerte? Ne serait-il pas la manifestation de l’individu en révolte contre une certaine forme d’oppression, voire d’exploitation, contre le non-sens que véhiculent certaines idéologies autour du travail dans nos sociétés modernes.

Finalement, devant la gravité des pathologies qui peuvent en résulter, la question cruciale est d’en avoir une idée précise, afin de savoir en repérer les signes et les causes le plus précocement possible, avant le basculement vers la maladie.

Burn- out, symptôme de notre temps ?

Aujourd’hui, l’expression “ faire son burn-out” est presque devenue “monnaie courante”, comme s’il s’agissait d’un titre de gloire, comme s’il fallait avoir connu la “surchauffe” pour être considéré comme un travailleur zélé et acharné. Dans bien des contextes professionnels, en effet, dire de quelqu’un qu’il travaille “comme un robot” est valorisé et peut constituer une forme de reconnaissance, un compliment.

A l’origine, le burn-out affectait les professions d’aide comme les professions médicales, les enseignants et les éducateurs. Eduquer, soigner était considéré par Freud comme des “métiers impossibles” dans la mesure où le succès était toujours insuffisant. Le burn-out n’est plus le monopole des “aidants”, il concerne également  les cadres, les employés, les mères de famille et les ouvriers.

“Faire un burn-out” ne serait-il pas une façon de riposter à un excès d’emprise, de présence face à un sentiment de saturation psychique? Que nous apprennent nos patients sur ce tableau clinique dont la fréquence ne cesse de croître? La fatigue qui est le seul moyen d’éprouver les limites de son corps est une satisfaction pour l’individu de rencontrer cette limite. Encore faut-il écouter les signaux du corps qui eux ne mentent pas.

Ces symptômes de fatigue excessive, d’anxiété, de stress ingérable, de dépersonnalisation et de sentiment d’incompétence peuvent donner à terme le sentiment au sujet d’avoir trop donné, sans recevoir de reconnaissance en retour.

[1] Les free clinics étaient des lieux de soins chargés de la prise en charge des toxicomanes.

[2] Freudenberger, Burn-out. The high cost of high achievement, p. 15.

[3] Ibid

[4] Graham Green, La saison des pluies, Paris, Robert Laffont, 2007.

[5] C. Maslach et M. Leiter, Burn-out, Paris, Les Arènes, 2011, P.42.

[6] Ibid, p. 19.

[7] Pascal Chabot, Global burn-out, Paris, PUF, 2013, P. 117.

[8] Pascal Chabot, Global Burn-out, Paris, PUF, 2013, P.118.

[9] Freudenberger, Burn-out. The high Cost of high achievement, p. 15.