LA MÉNOPAUSE

Étymologie et sémantique

Le terme ménopause date de moins de deux siècles. Construit à partir des mots grecs menos (menstrues) et pausis (arrêt), il remplace l’expression « cessation des menstrues » que l’on trouvait dans les textes médicaux des XVIIème et XVIIIème siècles. Au XIXème siècle, la cessation des règles était considérée comme « l’âge critique » ou encore « l’âge dangereux ». En latin on parle du climacterium, et en grec de klimakter et klimacterikios, ce qui va donner le climatère en français. Ce terme de climatère, que Freud a utilisé, désigne l’étape de la vie d’une femme où des modifications somatiques et psychiques apparaissent, coïncidant avec l’arrêt des règles. Le climatère est donc la période intermédiaire entre les années où une femme est féconde et celles où elle cesse de l’être.

L’ancienne représentation de la ménopause considérée comme « l’âge critique » était synonyme de vieillesse et non de vieillissement. Dès lors, les femmes ne se sentaient plus sexuées et perdaient leur féminité . Elles étaient invitées à renoncer à leur séduction, au désir sexuel. Certaines vivaient cet état sereinement, d’autres d’une façon dramatique qui pouvait les conduire à des somatisations, à des dépressions ou à des accès mélancoliques.

De nouvelles représentations de la ménopause

Aujourd’hui, de nouvelles approches de la ménopause ont dissocié fécondité, sexualité et féminité. On ne parle plus de « l’âge critique » mais plutôt de « l’âge créatif » où il s’agit de réinventer sa vie, où il devient urgent de désirer.

Les femmes travaillent, vivent plus longtemps ; la pharmacologie a produit des contraceptifs puis des traitements hormonaux substitutifs palliant les troubles physiologiques et psychologiques de la ménopause (bouffées de chaleur, ostéoporose, sécheresse vaginale, morosité, etc.). Ce type de traitement est considéré par certaines femmes comme la « pilule de la jeunesse ». C’est une autorisation à maintenir leur « état de femme », une aide pour soutenir leur pulsion de vie et repousser le côté mortifère de la ménopause.

Les règles et l’identité féminine

Les règles sont la manifestation la plus palpable de l’identité féminine. Elles sont indissociables des représentations de la féminité, de la sexualité et de la fécondité.

De même, la ménopause, véritable événement physiologique, avec son lot de bouleversement hormonal, est une spécificité exclusivement féminine.

L’arrêt des règles pour une femme signe la perte de la capacité d’enfanter et peut s’avérer être une véritable remise en question identitaire, douloureuse et tumultueuse. Une femme, même si elle a eu des enfants, même si son travail lui procure une valeur sociale, fantasme consciemment ou inconsciemment, à chaque nouveau cycle, une nouvelle grossesse.

Les règles, malgré leurs maux, sont bien le signe tangible d’une identité féminine, d’une maternité en puissance. Ce « plus jamais » de la ménopause est souvent vécu comme une « amputation » et fait basculer dans un autre temps où une femme n’est plus assez jeune sans être vieille.

La ménopause composante incontournable de la vie d’une femme

Il n’y a pas si longtemps encore, la vie était beaucoup plus courte qu’aujourd’hui. L’espérance de vie d’une femme était de 30 ans au Moyen-Âge, au début du XXème siècle elle était de 50 ans, aujourd’hui elle est de 83 ans. À 50 ans elle se trouve donc au milieu de sa vie d’adulte, elle a devant elle trente à quarante ans à vivre, sinon plus, soit autant que depuis sa sortie de l’adolescence (il est intéressant de noter que l’espèce humaine est la seule où la femelle vit longtemps après l’arrêt de sa fonction reproductive).

La ménopause est cette chose dont personne ne parle, sauf peut-être les gynécologues. Les psychanalystes quant à eux la considèrent surtout comme étant du domaine médical. En effet, si la littérature psychanalytique regorge d’ouvrages sur la féminité, la maternité, la sexualité féminine, elle reste quasi muette sur ce seuil où tout bascule. Les psy seraient-ils touchés par le déni ? Déni de leur propre ménopause pour les femmes, déni de la ménopause de leur femme pour les hommes ?

La ménopause vécue comme une perte

À chaque femme sa ménopause. Il n’y a pas un archétype de femme ménopausée, mais des femmes aux expériences et aux idées très diverses, allant de « l’horreur » à « la deuxième jeunesse » en passant par le non-événement. La vie d’une femme s’inscrit dans une succession d’étapes (puberté, grossesse, maternité, ménopause) et chaque étape demande des remaniements pulsionnels.

Dans le discours dominant, la ménopause induit une perte (perte de la fécondité, perte de la jeunesse, perte de l’image corporelle). La presse féminine ne parle pas directement de la ménopause mais utilise volontiers des périphrases comme « toujours belle à 50 ans » ou  » bombe sexuelle à 50 ans » pour dire qu’il n’y a pas d’âge pour être belle et désirable et qu’une femme ménopausée peut garder son éclat phallique.

Même si pour la majorité la ménopause n’est pas synonyme de vieillesse, le pouvoir de séduction reste un critère de valeur sociale et demeure attaché à la jeunesse, avec ses corollaires beauté et minceur.

Pour « les abdiquantes », la ménopause est un soulagement. Elles ne se prêtent plus au jeu du paraître et ne se font plus objet de désir pour l’homme. Les « désirantes » ne veulent pas renoncer à ce statut, elles s’angoissent et traquent les premiers signes avant coureur de la ménopause.

« Je suis ménopausée, pas périmée » me disait une patiente après le verdict de son gynécologue. Et de poursuivre « Ça veut dire quoi être ménopausée ? Ça veut dire qu’au-delà de cette limite mon ticket pour la séduction, la sexualité n’est plus valable ? Que mon mari va me quitter pour une petite jeune ? Je ne vais rien lui dire, il n’y verra que du feu ». Au moment de la ménopause, une femme est confrontée à une double perte phallique: elle ne pourra plus enfanter et elle perd en partie sa beauté, attirant moins le regard des hommes.

Sexualité et ménopause

Freud reconnaissait une augmentation de la libido à cette période, la comparant à la puberté. Hélène Deutsch, psychanalyste, conclura dans son ouvrage, La psychologie des femmes, que la ménopause est un âge dangereux car les femmes ne maîtrisent plus leurs besoins libidinaux et répètent leur puberté psychologique. Dès lors, elles se sentent prêtes à vivre n’importe quelle passion. Cet « hypersexualisme climatérique » ne serait qu’une réaction au processus de vieillissement, un « chant du cygne ».

Le discours dit absolument le contraire. Cette potentialité sexuelle chez la femme ménopausée peut bien sûr lui être révélée par un jeune éphèbe (le « démon de midi » au féminin) qui prendra le relais d’une conjugalité défaillante. Érotique moderne estampillée sous le terme de « Cougars ». C’est la jeunesse en corps, « jeunesse encore ! », une ultime « bouffée désirante » où un seul regard posé sur une femme suffit à lui restituer une brillance phallique.

Quand l’homme regarde « ailleurs », une jeune femme de préférence, c’est une façon de secouer la tutelle d’une femme qui est devenue pour lui une figure maternelle. Il ne supporte pas de constater dans le regard de sa femme son propre vieillissement. Elle lui apparaît alors comme castrée, et cela le castre. Il sera tenté d’élire un objet d’amour rajeuni qui lui redonnera un coup de fouet phallique.

Il pourra même redevenir le père d’un jeune enfant. Nouvelle paternité, nouvelle éternité. Le célèbre jeu de mot « change of life  » pour la femme et « change of wife » pour l’homme, prend alors tout son sens.

La sexualité est liée à l’épanouissement personnel quel que soit son âge. Quand une femme dit qu’elle ne plaît plus, c’est souvent qu’elle ne se plaît plus à elle-même.

Dès 1945, Hélène Deutsch décrivait ces femmes protégées du vieillissement par leur narcissisme et Freud voyait dans l’amour pour sa propre personne le secret peut-être de la beauté. La clinique de la ménopause nous apprend que beaucoup de femmes cessent de faire l’amour, repoussent les avances de leurs compagnons car elles disent qu’à leur âge, ce n’est plus de leur âge. Leurs corps ont changé, courbes, galbes, rondeurs ont perdu de leur superbe. Elles déclarent « ne plus en avoir envie ». En fait, elles n’ont plus envie d’elles-mêmes. Elles portent en elles une image qui ne correspond plus à celle qu’elles voient dans le miroir. Elles se « rejettent » et ainsi désertent le terrain de la séduction, du souci de soi et du désir sexuel.

On n’est pas femme d’emblée, à la ménopause les mêmes questions reviennent : qu’est-ce qu’être femme ? Comment le rester ? Comment relancer sa libido ? Comment être encore sujet de désir ?

Les femmes sont les championnes de l’arrangement, la féminité n’est pas linéaire, à chaque étape clé de leur vie, confrontées à une nouvelle temporalité, il leur faut rectifier, corriger, inventer une nouvelle façon d’être femme.