Podcast : Le tatouage n’est plus tabou, même en entreprise
Le tatouage est devenu un véritable phénomène culturel. Il séduit tous les âges et tous les milieux socioculturels. En outre, il n’est plus associé à la marginalité, à la délinquance ou à la révolte mais au contraire, il est valorisé, exposé, revendiqué par la jeunesse actuelle. Il a acquis, tout comme le piercing, le statut de bijou voire de « body art populaire ».
Cet engouement pour le tatouage est relayé par la mode, la publicité, les arts, la photographie, le cinéma, les chanteurs, les sportifs, les acteurs. Ces derniers, servent de référents à une jeunesse en quête de modèles identificatoires et esthétiques. Le tatouage est devenu un ornement à la mode au même titre qu’un sac à main ou une paire de chaussures.
Est-ce à dire que la dimension esthétique, l’effet de mode, suffiraient à expliquer la fascination actuelle de nos sociétés pour le tatouage ? David Le Breton, dans Signes d’identité : tatouages, piercings et autres marques corporelles donne un éclairage dans une perspective anthropologique.
Selon l’auteur, dans les sociétés traditionnelles, les marquages du corps s’imposent comme des rites de passage, une transmission. Ils sont organisés par les aînés pour accompagner le jeune novice dans le franchissement d’un seuil, le passage à l’âge d’homme. L’identité est alors une position au sein d’un groupe et le marquage vient en fixer l’appartenance.
Dans nos sociétés modernes, cette pratique relève d’un geste individuel (les aînés n’y participent pas), elle est l’affirmation d’un « C’est mon choix ! », d’une démarche esthétique et s’inscrit dans le cadre d’un récit personnel. Le corps est devenu un objet à disposition, un accessoire, dont il convient de pallier les insuffisances, la précarité et l’imperfection au motif de pure convenance personnelle. « Le corps est dans nos sociétés un facteur d’individuation, en le modifiant on modifie son rapport au monde. Pour changer de vie, on change de corps, ou du moins on essaie » (David Le Breton).
Le tatouage, loin de toute fonction initiatique et d’appartenance groupale révèle peut-être le souhait pour un sujet de s’affilier à une tribu urbaine, une tentative de réappropriation d’une identité qui lui échappe. On se marque pour se faire re-marquer, se distinguer des autres, c’est l’expression d’une singularité comme si le regard de l’autre pouvait redonner une identité.
Le corps devient un nouveau territoire de fiction, un nouveau support, écran sur lequel on peut ré-inventer le réel. Ce réel que Lacan définit comme « impossible » qui revient à la même place, insiste et réveille, la marque de jouissance. Le tatouage, cette gravure sur peau, peut être considéré comme un langage, une parole « encrée » qui dit quelque chose de la vérité du tatoué, de ses impasses, de ses phantasmes, de ses élucubrations.
L’énoncé lacanien : « La vérité a structure de fiction » reste plus que jamais d’actualité. Nous avons commencé, enfant, par écouter les histoires que nos parents nous racontaient pour ensuite en raconter à nous-mêmes et aux autres : histoires intimes ou grande Histoire. Autant de fictions, autant de reconstructions qui nourrissent la littérature : récits, romans, contes, épopées, mythes, autobiographies…
Aujourd’hui, alors qu’internet est devenu un nouveau terrain de jeu narratif où chacun peut mettre en récit son petit mythe personnel et cultiver son « narcissisme des petites différences » (Freud), le tatouage serait-il devenu le nouveau vecteur fictionnel contemporain ?