Un psy, une question
Constatez- vous dans votre clinique quotidienne une différence entre la demande des patients “d’hier” et les nouvelles demandes dites “modernes”?
Jean-jacques Tyszler: Le cabinet de l’analyste n’est pas immuable; les demandes d’aide et de suivi épousent les motifs d’une époque, même si des fondamentaux demeurent : l’amour et le désir charrient toujours leur lot d’insatisfactions et d’impossibles.
Dans la Vienne du début du XXème siècle, Freud exerçait surtout son talent de pionnier de l’inconscient sur les “névroses de transfert”: hystérie, névrose obsessionnelle, phobie. A côté, il décrivait des névroses de caractère, des névroses actuelles, des névroses de destinées, des psycho-névroses de défense, dont l’abord était différent.
A quoi avons nous affaire aujourd’hui? Les symptômes classiques de l’hystérie sont devenus rares mais pullulent, les algies, les états dépressifs et les formes psychiques enchâssées dans le social comme le burn-out. Les névroses de contrainte remplacent la culpabilité obsessionnelle : contrainte par le corps appelé à être toujours au meilleur, tyrannie de l’image, culte du self, narcissisme réduit à sa valence imaginaire; la vie devant son miroir: “suis-je toujours la plus belle?”, “suis-je toujours le plus performant?”.
La phobie prend beaucoup d’espace et se réfugie solitairement derrière les outils connectés.
Et puis, il y a les pathologies nouvelles, au moins par leur extension, les addictions multiples, les anorexies-boulimies, l’agitation de l’enfant petit.
Nous avons provisoirement choisi de nommer “névroses post freudienne”, cette clinique quotidienne pour garder sa place au symptôme au sens psychanalytique du terme ( ce qui est à lire, à déchiffrer sous le signe) et éviter la pente en parlant de “troubles” de manière quasi biologique.
C’est par conséquent dire à chaque patiente et chaque patient que sa chance est de prendre un peu de temps pour analyser ce qui l’amène; la course de vitesse et les réponses passe partout ne sont pas au principe d’une analyse, ni même d’une psychothérapie.
Les maîtres mots n’ont pas été remplacés: la pulsion, le fantasme, les identifications.
Les variantes de la cure se sont en revanche diversifiées; le praticien n’est plus toujours dans la célèbre “neutralité bienveillante”. Il doit pouvoir à l’occasion questionner, susciter, prescrire ou interdire, faire silence encore. Tout reste affaire de confiance, ce qui de nos jours est souvent le plus difficile.
La psychanalyse n’est pas une assurance-vie ni même une promesse. Ce rien fait son prix.