Un acte manqué : le lapsus

Qu’est – qu’un acte manqué?

Les actes manqués ou actes accidentels, qualifiés plus rigoureusement d’actes symptomatiques, “expriment quelque chose que l’auteur de l’acte lui-même ne soupçonne pas et qu’il a généralement l’intention de garder pour lui, au lieu d’en faire part aux autres”(1). On peut se demander si ce ne sont pas en réalité des “actes réussis” laissant émerger ce que chacun désire ne pas savoir sur soi, mais qui se tiennent souvent à la lisière de la conscience, tapis dans l’espace préconscient. Dans l’acte manqué, c’est le retour du désir refoulé qui fait irruption sous l’espèce d’une tendance perturbatrice qui va à l’encontre de l’intention du sujet. Le refoulement d’un désir constitue donc la condition indispensable à la production d’un acte manqué.

Psychopathologie de la vie quotidienne forme, avec L’interprétation des rêves (2) et Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient (3), un triépied théorique concernant l’inconscient et ses manifestations langagières. Freud y étudie des phénomènes courants de la vie quotidienne comme le rêve, le mot d’esprit ou les actes manqués tels que l’oubli de noms propres, les lapsus, les erreurs de lecture ou d’écriture, les méprises ou maladresses, les actes symptomatiques et accidentels, les erreurs. Manifestations psychiques que Jacques Lacan nommera les “formations de l’inconscient”. Il donnera de l’acte manqué cette définition: “Pour la psychopathologie de la vie quotidienne, autre champ consacré par une autre oeuvre de Freud, il est clair que tout acte manqué est un discours réussi, voire joliment tourné” (4).

Définition du lapsus

Le mot lapsus vient du verbe latin labi qui signifie littéralement “tomber”, “glisser”:

l’étymologie met donc l’accent sur le côté accidentel, impromptu d’un “dire plus que ce qu’on sait, ne pas savoir ce qu’on dit, dire autre chose que ce qu’on dit” (5).

Les synonymes ne manquent pas pour désigner le phénomène: on parle aussi de “coquille” (1754), de “contrepèterie involontaire” (1582).

“Officiellement”, les lapsus n’avaient pas de sens. Pourtant il y a longtemps que les romanciers et les dramaturges les ont utilisés pour faire entrevoir les pensées secrètes de leurs héros.

Un dérapage incontrôlé de la langue

Les réflexions sur les lapsus sont développées par Freud dans les chapitres V et VI de son ouvrage, Psychopathologie de la vie quotidienne (1901) (6). “Faire un lapsus” comme on le dit dans le langage courant, consiste à substituer un mot à celui qu’on voulait dire : “la langue a fourché” .

Par de multiples exemples, souvent comiques, Freud montre comment la motion pulsionnelle refoulée fait retour dans la méprise de parole. Le refoulement d’une motion pulsionnelle, généralement soit sexuelle soit hostile (ou combinant les deux mouvements), est la condition nécessaire à la production d’un lapsus linguae (7).

Freud raconte le lapsus de ce président du Reichtag autrichien qui ouvrit la séance par ces mots: “ Messieurs, je constate la présence de la majorité des membres, et déclare, par conséquent, la séance close.” (8) De toute évidence, le président ne désirait pas faire ouvrir cette séance.

Il cite également une dame, connue pour son énergie, expliquant un jour que “ Mon mari a consulté un médecin au sujet du régime qu’il devait suivre; le médecin lui a dit qu’il n’avait pas besoin de régime, qu’il pouvait manger et boire ce que je voulais” (9). Le “je” souligne qu’il y a un lapsus et que l’inconscient parle. Ce lapsus est proche du mot d’esprit.  

Comprendre le lapsus, son intention et sa structure, suppose de dissocier le signifiant ( les sons) du signifié ( la signification). Le lapsus procède de façon involontaire mais manifeste l’intention inconsciente aux dépens de celui qui le produit, comme s’il se trahissait. Le caractère révélateur, voire auto- révélateur du lapsus, contribue aux effets de surprise et parfois de honte qu’il peut susciter.

Le lapsus représente à proprement parler un discours qui est l’expression plus ou moins déguisée d’un désir refoulé, d’un voeu inconscient. Il apparaît très vite aussi que ce n’est pas seulement un discours autocentré, à usage interne, mais un discours adressé à un autre.  

[1] S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1967,  p. 219.

[2] S. Freud, L’Interprétation du rêve, Paris, Seuil, 2010.

[3] S. Freud, Le mot d’esprit et sa relation à l’inconscient, Paris, Gallimard, 1988.

[4] J. Lacan, Le séminaire livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998.

[5] J. A. Miller, “ Théorie de la langue. Adresse au congrès de l’Ecole Freudienne à Rome, le 2     novembre1974 ”, Ornicar, 2, 1974.

[6] S. Freud, Psychopathologie de la vie quotidienne, Paris, Petite bibliothèque Payot, 1967.

[7] Il existe également le lapsus calami qui est l’emploi involontaire d’un mot pour un autre en écrivant.

[8] S. Freud, Ibid p. 72.

[9] S. Freud, Introduction à la psychanalyse, Paris, Petite Bibliothèque Payot, 1961.