Les nouvelles représentations du corps des femmes par Catherine Grangeard
Depuis 2020, la date du 4 mars annonce la journée mondiale contre l’obésité. Cette journée est l’occasion de faire évoluer la vision du public en luttant contre les idées reçues et la discrimination anti-obèses.
Catherine Grangeard est psychanalyste et psychologue. Elle travaille depuis plus de 20 ans dans des équipes de chirurgie de l’obésité. Elle est aussi l’auteure de nombreux ouvrages dont « La femme qui voit de l’autre côté du miroir », « Comprendre l’obésité » et « Obésités. Le poids des mots. Les maux du poids ».
Ce texte est un extrait d’une intervention qu’elle a faite lors d’un colloque[1] où elle apporte son éclairage clinique sur les nouvelles représentations de l’image du corps des femmes. L’obésité n’est-elle pas devenue une nouvelle figure du malaise dans la culture ? Elle prend corps dans une société où l’injonction à la minceur est devenue omniprésente et tyrannique. Or, la personne obèse, cet « esclave de la quantité » selon la formule de Michel de M’Uzan, impose son corps à une société qui érige la minceur en idéal et par la sorte lui signifie sa propre défaite narcissique.
« Commençons par rapidement définir ce qu’est une représentation sociale, comment elle se construit et les conséquences sur les personnes qui se l’approprient en fonction de leur personnalité ET en même temps cela aura un effet sur les représentations. Car le mouvement est circulaire. Notons qu’une représentation est en évolution permanente… Elle est active, mouvante, changeante. ET Il y a une interaction entre ce qui arrive de l’extérieur et inversement. Rien n’est figé.
C’est une reconstruction permanente car chaque personne est singulière, différente.
DONC : Toute représentation est à la fois celle de quelqu’un et de quelque chose, d’un sujet et d’un objet.
Une représentation parle autant qu’elle montre, elle communique.
Des comportements sont déterminés par les représentations que l’on se fait, par exemple du corps idéal.
On peut y adhérer… ou pas. Mais on se situe par rapport : en accord ou en opposition, qu’importe au fond, c’est l’étalon… D’où des comportements qui peuvent ne pas sembler très rationnels mais le sont au regard d’une autre logique : pensons à toutes ces femmes qui « suivent des régimes » pour maigrir. 95 % des régimes échouent (Ref /rapport ANSES nov 2010 coordonné par le Dr J. Michel Lecerf) Pas tant parce qu’ils seraient tous farfelus (même si certains !!!!) mais parce qu’entre vouloir et désirer il y a de la marge, celle de d’erreur !
Si un excès de poids sert à se protéger, pour ne plus être objet sexuel cela se défend… on ne va pas perdre la protection (solution) : donc à se méprendre ATTENTION !!!!
Le body positiv’ a permis à de très nombreuses femmes d’assumer le corps qui est le leur. Enfin, elles n’avaient pas à jouer à être une autre et souvent à s’affamer avec les résultats que l’on connait : désormais la moitié de la population en France est en excès de poids.
L’échec des approches actuelles y est patent. Dans le rapport ANSES déjà mentionné : un fait est à méditer : de nombreuses jeunes filles de 11 ans (à l’approche de la puberté donc) « se mettent au régime ». Pourquoi ? pour des raisons de santé ? NON bien sûr : parce que leur représentation de la fille désirable, c’est une fille de magazine, un mannequin anorexique… même de nos jours ! Et ces régimes fabriquent l’excès de poids !
Une représentation sociale permet de faire groupe, elle se partage avec une communauté. On le voit désormais bien avec les réseaux sociaux. C’est réconfortant. C’est un point très important pour des personnes qui sont mal dans leur peau… Cet aspect explique pourquoi les réseaux sociaux marchent si bien auprès de certains publics. Mais l’effet de mode n’a pas attendu Tiktok ou Insta !
La représentation est une activité psychique grâce à laquelle la réalité sociale est intégrée et sur laquelle on tente d’agir, de peser. Le lien avec le corps est d’entrée de jeu posé. C’est un mouvement qui modifie, renforce, … l’image individuelle.
Reprenons l’exemple du Body positiv’ sur les réseaux sociaux. Ce mouvement est intéressant si cela aide à sortir de « la fabrication des complexes » !
C’est un échange, car communiquer ne se réduit pas à la transmission de messages ou au transport d’informations inchangées : la subjectivité est toujours présente. L’émetteur s’adresse à un récepteur qui n’est pas totalement vierge. L’interprétation se constate en permanence (le sens des mots est différent même si un vocabulaire est identique. Pourquoi ? La charge émotionnelle est différente, les symboles sont valorisés ou non, etc…)
C’est un des fossés entre certains soignants et des personnes qui consultent et se trouvent maltraitées.
Je fais référence à la notion de Contre-transfert. Dans la question des représentations des corps côté morphologie une réelle GROSSOPHOBIE existe dans la société, y compris chez les soignants que l’on peut résumer brièvement à une projection de soi : on n’aime pas les personnes grosses.
La phobie c’est une peur irrationnelle. Les médias la véhicule largement. Le mot est entré dans les dictionnaires il y a seulement qqs années sous la pression de groupes militants. Et tant mieux ! ce qui ne peut pas être nommé est difficile à penser.
Une étude sur les femmes et les consultations/gynéco fait un constat affligeant de mépris : résultat : cesser de consulter !
Autre point ESSENTIEL :
La représentation psychique, c’est l’éprouvé. D’où des écarts entre les « réalités »
Comment est vécu le corps ? Voilà la vraie question. L’âge, l’IMC et les autres données chiffrées, « objectives », n’en disent rien !
Quand la société évolue, quand la place des femmes bouge, la représentation qu’elles se font de leurs corps aussi.
Nous voyons au travers de ces quelques incursions aussi bien dans les cabinets médicaux, les magazines, les réseaux sociaux que dans des assemblées faisant les lois comme au Sénat que la représentation du corps des femmes varie, évolue mais aussi n’est jamais neutre.
A ce propos, des représentations sociales découlent la fabrication des normes et ce qui est considéré comme normal … l’interaction entre les niveaux des sociétés et celui de l’individu est à mieux comprendre, pour en tirer toutes sortes de conséquences.
Les femmes ont en commun des représentations et sont néanmoins différentes. Le corps n’est pas vécu de la même façon, chacune ayant une histoire singulière. C’est une raison pour nommer plus justement « le corps des femmes » que « le corps de LA femme » : La femme n’existe pas !
Le tabou devient représentable. C’est peut-être ceci qui est essentiel : quand les mots pour le dire existent alors la chose elle-même existe. L’indicible du corps des femmes, le non représentable empêche toute représentation. Devient « normal » ce qui peut se penser, s’exprimer, se partager.
En tant que psychanalystes, nous prenons le pouls des changements. La fabrique des représentations se mesure sur les divans quand on regarde en arrière sur plusieurs décennies.
Subjectivement, le corps des femmes se vit au gré des évolutions des sociétés. Plus les prescriptions sont fortes, plus les diktats semblent indiscutables et moins les gens vont bien et en particulier les femmes que l’on ramène tant et tant à leurs corps. Aucune distance est envisageable sauf à la pathologiser.
Le changement de regard (qui fait le beau n’est-ce pas) influence le regard que l’on porte sur soi et sur ses enfants puisque nous savons pertinemment que ce qui est véhiculé en famille va les façonner.
Vous souvenez-vous du film « Devine qui vient dîner » (1967) ? Le très séduisant Sydney Poitier dit : « Vous voyez un homme noir. Je me vois comme un homme » !
C’est cela le problème. Découvrir dans les mots et les regards des autres qui je suis. Le philosophe Bergson le disait autrement (in le Rire) : « Nous ne voyons pas les choses elles-mêmes. Nous nous bornons le plus souvent à lire des étiquettes, collées sur elles ».
Les représentations nouvelles des corps des femmes ne sont pas venues par hasard. Elles sont le résultat de prises de conscience, de luttes aussi. Je ne suis pas une militante. Je suis une psychanalyste. Mais, comment au fur et à mesure d’années de pratique avec des femmes ne pas devenir un peu militante ? Comment à décrypter les représentations sociales ne pas souhaiter participer à en modifier certaines fort injustes, néfastes, allant à l’encontre de la santé ? »
Catherine Grangeard
[1] Les nouvelles représentations du corps des femmes, 7éme colloque Actions Santé Femmes, le 29 janvier 2024 au Sénat : Droits des femmes et Santé des femmes, colloque dont le thème cette année était : L’image du corps des femmes hier et aujourd’hui : un droit ?