La jalousie

Définition

Le mot jaloux apparaît au XIIe siècle, en ancien provençal, gelos ou gilos, qui vient du grec zêlos ou du latin zélosus, le zèle, fort attachement. Il va prendre ensuite le sens d’émulation et de jalousie.

Le sentiment douloureux qu’engendre la jalousie nous viendra de son premier sens attesté au tout début du XVIe siècle. Il est alors associé à la personne aimée.

Son étymologie nous renvoie au mot italien gelosie, qui désigne par métonymie un treillis de bois ou de fer qui permettait de voir sans être vu.

La jalousie est si coutumière, banale, commune qu’elle fait partie de la trame constante du drame humain. Elle est présente au quotidien; dans la littérature, le cinéma, l’opéra, les mythes. Nos amours, nos amitiés, nos relations avec nos frères, soeurs, parents, ne sont pas épargnées par “ce monstre aux yeux verts” comme la nomme Shakespeare.

Freud et la jalousie

La jalousie normale, projetée et délirante

Freud, dans un article de 1922, intitulé : Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité[1], évoque la jalousie comme faisant partie des “affects normaux”, au point que, selon lui, “ là où elle semble manquer dans le caractère et le comportement d’un homme, il est justifié de conclure qu’elle a été soumise à un fort refoulement et à cause de cela joue un rôle d’autant plus grand dans la vie psychique inconsciente”[2]. Voilà qui d’emblée en situe la portée et les enjeux inconscients. C’est un état dont l’évidence semble immédiate. Il n’est pas rare de considérer que le partenaire, s’il n’est pas jaloux, n’est pas amoureux.

Freud , constate que “ la jalousie se compose essentiellement du deuil, de la douleur causée par l’objet d’amour que l’on croit avoir perdu et de l’humiliation narcissique (….), des sentiments hostiles dirigés contre le rival qui a été préféré, enfin d’un apport plus ou moins grand d’autocritique qui veut rendre le moi propre responsable de la perte d’amour”[3].

Il distingue trois formes de jalousies :

1 – La jalousie concurrentielle ou normale est la douleur ressentie de savoir ou de croire que l’objet d’amour est perdu. Selon Freud, cette jalousie, toujours liée au sexuel, implique un tiers. Parler de “ jalousie normale” ne signifie pas la réduire au banal, c’est une façon pour Freud de rompre avec une norme psychiatrique de la jalousie morbide et de la replacer au coeur de la vie psychique de tout individu.

2 – La jalousie projetée est la mise en jeu d’un processus inconscient, la projection d’un désir de tromper refoulé. Pendant tout le temps où le sujet soupçonne et inculpe l’autre, il se “blanchit” de ses propres tentations d’infidélité, tout en les réalisant par personne interposée.

3 – La jalousie délirante, c’est le désir d’infidélité qui est tourné vers un partenaire du même sexe que le sujet. Selon Freud, “ la jalousie délirante exprime une homosexualité fermentée et affirme avec droit sa place parmi les formes classiques de la paranoïa”[4]. Le grand jaloux, comme le paranoïaque, est l’homme qui a toujours raison.

La jalousie oedipienne

Selon l’hypothèse freudienne, la jalousie s’expérimente de façon précoce puisqu’elle prend racine dans la vie sexuelle infantile. La jalousie dite normale procède du fait à la fois  universel et singulier d’avoir “eu” un Oedipe. Elle vient donc de loin puisqu’elle commence avec l’introduction d’un premier tiers. Classiquement, le référent du “petit jaloux” est la figure paternelle qui interdit la mère comme objet sexuel, cette mère dont il veut la propriété exclusive, pour sa part, passe son temps à apparaître/ disparaître. Que donc fait cette mère à “temps partiel”, quand elle n’est pas avec lui? L’enquête oedipienne commence et c’est pourquoi le jaloux, parvenu à maturité, sera si préoccupé de l’emploi du temps de son objet d’amour. Le jaloux cherche l’identité du rival, traque les signes d’une éventuelle tromperie mais le vrai nom du rival est le père de la préhistoire qui jouit de la mère “derrière son dos”. Le petit Oedipe est jaloux non seulement du père- rival, mais jaloux également de sa mère en tant qu’aimée du père. Ce qui nous donne une idée de la complexité des différents cas de figures possibles.

La jalousie féminine

Les femmes sont-elles, comme on le croit souvent, plus jalouses que les hommes?

La jalousie se manifeste chez elles de façon très différente. Elle est souvent moins destructrice chez les hommes. Freud notait que chez bien des hommes la jalousie pouvait renforcer le désir. “ Ce n’est que lorsqu’ils peuvent être jaloux que leur passion culmine”. Dans ce cas, la jalousie n’est pas ce qui accompagne le choix d’objet, mais ce qui le conditionne impérativement. Sera préférée par exemple, la femme positionnée entre deux hommes. C’est en tant qu’elle peut nourrir la jalousie qu’elle devient d’autant plus désirable. Cette condition du “tiers lésé” se rencontre fréquemment dans la clinique.

La jalousie vient souvent faire irruption dans le cadre d’un lien conjugal ou amical, lien fonctionnant sur le principe du Un de l’amour, et de la fraternité, tout en interrogeant la question du manque. Mais de quel manque s’agit-il ? La jalousie semble se caractériser comme un sentiment, un affect qui est ressenti comme envahissant, ravageant et tyrannique. Quand la jalousie s’empare d’un sujet, elle ne se présente pas dans la demi-mesure; c’est plutôt tout ou rien. Le sujet ressent alors un sentiment de frustration et de privation.

La question de la jalousie se pose différemment pour une femme; en effet la perte d’amour équivaut pour elle à la perte de l’assurance phallique. La jalousie narcissique est plus souvent observée chez la femme. Une femme cherche à devenir l’unique, l’élue, la désirée, la seule à pouvoir être l’objet d’amour ou de passion pour un homme. Elle se situe dans une visée monogamique, favorable à l’amour unique, irremplaçable et fidèle. Jacques Lacan évoquait la jalousie féminine comme “ l’exigence que son homme soit tout à elle”[5] , comme si l’homme représentait la mesure exacte de ce qui lui manque à elle pour être une femme.

Dans la relation amoureuse, on la voit fréquemment veiller jalousement sur “son homme” et se défier vigilamment de l’autre femme. Finalement, n’est-ce pas l’autre femme, la “vraie femme” qui est la visée de la jalousie, non comme simple rivale imaginaire mais comme une idéalisation de l’autre femme susceptible de complémenter l’homme.

Mais quel que soit le sexe, la jalousie est une demande d’être l’unique, l’irremplaçable pour l’autre et à chaque fois que ce Un ou ce Tout sera mis en question dans une relation d’amour, surgira la jalousie.

Les tourments de la jalousie

A La recherche du temps perdu de Marcel Proust est le roman de la jalousie. Elle est souvent du côté des hommes. Les femmes de la Recherche ne sont pas vraiment jalouses.

Proust nous fournit une monographie incomparable de ce qu’il désigne comme “ une maladie chronique” de l’imagination où le jaloux crée et entretient des souffrances plus intensément vécues que s’il s’agissait d’un fait objectivement perçu. Le narrateur en donne la clé de façon directe : “Sans me sentir le moins du monde amoureux d’Albertine,….j’étais resté préoccupé de l’emploi de son temps”[6]. Proust nous fait sentir à quel point le jaloux est aux prises avec la jouissance de l’imaginaire : Que diable fait l’objet pendant que je ne suis pas là?

Lacan dans le séminaire Encore[7] a forgé le néologisme “jalouissance” pour indiquer que la jalousie est avant tout affaire de jouissance. Jouissance de l’imaginaire où le jaloux soupçonne que l’autre puisse jouir “ailleurs” , prendre du plaisir “ ailleurs”. Pour le meilleur ou pour le pire, l’imagination fait tout. Le jaloux met en scène le drame de sa jalousie, traque, invente, surveille, persécute afin de découvrir ce que l’autre lui cache. Il guette les instants où l’autre pourrait le désinvestir allant parfois jusqu’à anticiper des situations qu’il vit comme étant de l’éloignement.

Proust réduit l’amour à un besoin d’être sans cesse avec la personne, pour n’avoir pas à s’angoisser de son absence en ne sachant pas ce qu’elle fait. Sa présence fonctionne comme un analgésique contre la douleur de l’angoisse de perdre la mainmise sur l’autre, sur son désir. Ce n’est donc pas tant l’amour qui attache à la personne aimée que la jalousie qui  la rend indispensable. Selon Proust, l’amour est avant tout un besoin de posséder l’autre en annexant sa vie pour augmenter la sienne; d’où l’envahissement psychologique de la personne aimée. Or, ce désir de possession tourne vite à la douleur de voir l’autre nous échapper.

Dans La prisonnière[8], la nommée Albertine est une sorte de fétiche, une poupée “séquestrée” au domicile, dont le narrateur jouit de savoir qu’il la retrouvera en rentrant chez lui. Le narrateur ne cherche- t’- il pas à maintenir en captivité le désir de l’autre, afin de lui éviter les allées/ venues maternelles qu’il a subies lors de sa petite enfance?.

L’amour chez Proust est toujours évoqué comme une maladie, “…. comme un mal physique qui lancine, qui dégrade et qui diminue ”[9] et qui fait mener au jaloux, une “vie d’écrasé”[10], tel un aliéné possédé par sa “ joui-sens” où il n’a de cesse de disséquer le sens pour en jouir.

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[1] S. Freud, Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité in Névrose, psychose et perversion, PUF, 1999, p. 271.

[2] Ibid p. 272- 273.

[3] S.Freud, Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité in Névrose, psychose et perversion, PUF, Paris, 1999, P.271.

[4] Ibid

[5] Jacques Lacan, Les non-dupes errent, le Séminaire, livre XXI, inédit leçon du 11 juin 1974.

[6] Marcel Proust, Albertine disparue, in A la recherche du temps perdu, vol VI, 1927; Grasset, 1987. P.22.

[7] J. Lacan, Le séminaire, Livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, P.91.

[8] Marcel Proust, La prisonnière, in A la recherche du temps perdu, vol III, 1956; Grasset, 1987.

[9] Marcel Proust, La fin de la jalousie, Gallimard, collection folio, 1993, p. 102.

[10] ibid p. 103.