Il court, il court le désir….

Quand une chose était à ma portée, je n’en voulais plus, ma joie était dans le désir” T.E. Lawrence

Il court, il court le désir….

Définition générale

Aucune notion n’est plus délicate à définir. Les philosophes, les théologiens, les psychanalystes s’entendent pour dire que le désir ne peut être satisfait ici-bas. Il est comme une “bête multiforme et polycéphale”, mais n’en demeure pas moins “l’essence de l’homme”.
En son acception courante, le désir est cette aspiration profonde de l’homme, du sujet humain vers un objet dont il n’a pourtant aucun moyen de savoir en quoi il consiste. Il est ce qui permet à chacun de se projeter en dehors de lui-même, de s’activer, d’aller à la rencontre de…, de sortir de sa solitude. Désirer c’est faire l’expérience de son “incomplétude” et de celle de l’Autre. D’ailleurs, un sujet qui serait “complet” ne désirerait pas. Y a- t-il plus désespérant en effet qu’un être parfaitement plein ? Il serait sans à-venir, sans projets, sans faille. Sartre a pour cela une expression remarquable : c’est le “ gros plein d’être”.
L’origine étymologique du mot désir est très parlante ; le terme latin desiderare a pour racine sidus qui désigne un astre. Dans la Rome Antique, considerare c’est “contempler un astre”, desiderare c’est “regretter son absence”. Autrement dit, on ne désire que d’être privé d’astre. Le sens positif vient par la suite : s’il y a une absence, vous aspirez à l’effacer, à la dépasser, vous souhaitez la chose qui manque. Voilà, en français, une étymologie qui a l’avantage de nous éclairer sur l’usage que nous faisons en psychanalyse du mot désir. Ainsi va le désir, tendu vers ce qui est trop loin pour être saisi. Animé par ce qui lui manque, (et sans savoir de quoi il manque), le sujet cherche devant lui ce que, derrière, il a perdu.
Il court, il court le désir d’objet en objet, sans jamais se satisfaire de ce qu’il attrape.
Il ne peut pas se saturer vraiment, ou seulement passagèrement. Il est comme dit Lacan “un singulier furet que nous voyons disparaître et reparaître à travers toute une série de jeux de passe-passe…”. On le croit ici, alors qu’il furète déjà ailleurs. “On a tout tenté pour l’éduquer, le réguler, le maîtriser, mais en vain : il n’en fait qu’à sa tête”. Il est tension, mouvement qui tend à se “satisfaire” ; mais de quoi ?

Comment le désir, se construit- il ?

Lorsque Freud et Lacan parlent du désir, ils entendent le désir inconscient. Il s’impose involontairement au sujet, qui peut l’assumer ou non.
Avec Lacan, lecteur de Hegel, la dimension du désir apparaît comme intrinsèquement liée à un manque dont le sujet ignore à peu près tout. Au fond de lui, il ne sait pas ce qui lui manque. Les objets de la réalité qui, au fur et à mesure, se présentent à lui ne sont que des substituts d’un objet manquant. Le sujet peut s’apercevoir que ce dont il croit pouvoir s’emparer n’est pas ce qu’il vise, n’est pas forcément ce qu’il recherche, selon la formule de Lacan : “le désir est toujours désir d’autre chose”. Il est propre à l’être parlant. Le sujet parle pour trouver un exutoire à sa frustration, un remède à ce manque incomblable, de ne pouvoir mettre la main sur “cet obscur objet du désir”.
Le sujet se fabrique également des fictions, des fantasmes qui sont un des modes de satisfaction hallucinatoire du désir. C’est le fantasme qui arrange les choses, comme le dit Lacan “ Le fantasme est le soutien du désir, ce n’est pas l’objet qui est le soutien du désir ”6. Le fantasme est donc autant un écran protecteur qu’une mise en scène expressive du désir. Le sujet manque – donc désire – donc parle – donc manque : le désir présente une permanence, une “durabilité”, une sorte d’immortalité. Il est, comme dit Freud, “indestructible”. Le sujet cherche à réaliser son désir, sans pouvoir ni y réussir, ni y renoncer. Il est infini, car le manque ne sera jamais comblé. Ce que le sujet désire à travers cette quête frénétique d’objets, c’est le désir lui-même. Le désir est désir de désir. Ce “n’est rien d’autre que le désir de désirer” (Lacan).

Désir, demande et insatisfaction

“Ce n’est pas assez, ce n’était pas ça qu’il voulait, ce n’est jamais assez, il aurait voulu autre chose, autrement”. Le sujet ne se soutient que de l’insatisfaction. C’est pourquoi il y tient tant, comme à une “maladie”. Elle s’insinue dans les relations sociales, familiales, au sein des couples. Tout peut être lu à l’aune de l’insatisfaction; comme l’enfant qui crie à l’injustice, quand il n’obtient pas ce qu’il demande. Or, “ demander, le sujet n’a fait que ça, il n’a pu vivre que de ça”. D’une manière générale, la demande est toujours formulée et adressée à autrui. Elle est avant tout expression du désir. La demande de “l’en plus” est avant tout demande d’amour de l’enfant, dans laquelle il désire être l’unique objet du désir de l’Autre qui satisfait ses besoins. En d’autres termes, ce “désir du désir de l’Autre” (Lacan) s’incarne dans le désir d’une “re – trouvaille” de la satisfaction originaire où l’enfant a été comblé (par le sein) sur le mode de jouir, sans l’avoir ni demandé ni attendu. En sorte que dès la seconde expérience de satisfaction, la médiation de la demande confronte l’enfant à l’ordre de la perte. L’objet recherché ne sera jamais retrouvé ou tout au plus comme regret. Ce n’est pas l’objet que l’on retrouve, mais plutôt l’état de souhait et d’attente, la quête et la tension qui l’accompagnent.

De demande en demande, le désir se structure comme désir d’un objet lui-même impossible, au-delà de l’objet du besoin comme un objet impossible que la demande s’efforce de vouloir signifier. Le désir renaît donc de ses cendres, mais déplacé toujours vers autre chose.

Quand Freud parle de désir insatisfait, que veut- il dire ? Il ne fait que souligner la structure du désir, selon laquelle le sujet ne trouve dans le monde aucun objet adéquat, concret qui le fasse taire une fois pour toutes. Il est condamné à chercher toujours autre chose, et n’accède au nouveau, à la surprise, à l’étonnement qu’au prix d’une insatisfaction parfois considérée comme tragique. Vivre au régime du désir pour un sujet, veut dire n’être jamais content de ce qui est attrapé, car nul objet n’éradique le désir. Voilà pourquoi certains préfèrent vivre au régime de la demande, ou s’installer dans la revendication, pour échapper à leur manque.

L’aspect pulsionnel du désir

En psychanalyse, le désir est appréhendé à travers la notion de pulsion. Freud propose une conception dualiste de la pulsion où il oppose les pulsions sexuelles des pulsions d’autoconservation, lesquelles concernent les fonctions vitales.
Dans son article de 1915, Pulsions et Destins des pulsions, la pulsion apparaît comme une poussée dynamique constituée par une charge énergétique ayant sa source dans une excitation corporelle, dont le but est de supprimer un état de tension au moyen d’un objet déterminé. Tout part de cette excitation interne, dont il est impossible “de venir à bout par des actions de fuite” et qui ordonne la vie psychique d’un sujet en termes de plaisir et de déplaisir.

Selon la théorie freudienne, les composantes de la pulsion sont : sa source, sa poussée, son objet et son but. Quant à l’objet, il semble être quelconque ou échangeable, c’est donc n’importe quoi qui permet de satisfaire la pulsion. Cette constellation est déjà en place au début de la vie ; par exemple, chez le nourrisson, une excitation au niveau de la muqueuse buccale (source) l’incitera (poussée) à rechercher le sein ou à défaut son propre pouce (objets) afin de réduire une tension pulsionnelle par le moyen de la succion (but).

Le désir, autrement que la pulsion, apparaît comme une force proprement psychique. Si la pulsion se passe de paroles, le désir s’exprime abondamment. L’un comme l’autre rende compte d’un mouvement, d’une modification, ayant pour but de faire cesser un état de tension.

Si la pulsion trouve (ou non) un objet de satisfaction dans la réalité, elle le peut précisément en fonction du désir qui mobilise le sujet. Leur dynamique est cependant opposée ; alors que la pulsion cherche à se satisfaire, le désir opère par le manque.
Lacan reprendra l’idée de Freud, qu’il n’y a dans l’inconscient que des pulsions partielles. Elles contribueront à créer des zones érogènes qui se satisfont par un objet spécifique qui est, selon Freud, oral, anal et génital auxquels Lacan ajoutera le regard et la voix. De fait, il existe autant de pulsions partielles qu’il existe de zones érogènes. Leur but sexuel vise l’obtention d’un plaisir d’organe, c’est -à -dire une satisfaction “sur place”.

L’excitation de la zone érogène trouvant son apaisement sur le lieu même où elle se produit, indépendamment de la satisfaction des autres zones et sans relation avec la fonction vitale sur laquelle elle s’étaye.
Le suçotement en est le paradigme, il vise l’apaisement d’une tension de la zone érogène bucco-labiale en dehors de tout besoin alimentaire car “cette bouche qui s’ouvre dans le registre de la pulsion ; ce n’est pas de nourriture qu’elle se satisfait, c’est, comme on dit, du plaisir de la bouche”.

La pulsion introduit dans la sphère du besoin une qualification érotique : la libido va se substituer au besoin. Le besoin nutritif devient plaisir oral, la fonction de défécation devient plaisir anal et jusqu’à la fonction génitale qui devient plaisir phallique. Chaque fois donc qu’une motion pulsionnelle se produit, c’est de la libido qui se consomme.