Un psy, une question sur l’addiction au sucre

Vous écrivez dans votre ouvrage Obésités. Le poids des mots, les maux du poids, que « La fonction de tout objet transitionnel est de rassurer le sujet en contrecarrant ses angoisses dépressives ». Dans la clinique des T.C.A on entend beaucoup parler d’« addiction au sucre ». Pourquoi et comment l’aliment sucre pourrait venir en lieu et place d’un objet transitionnel?

Catherine Grangeard : Le sucre est partout ! Au siècle passé, la consommation de sucre était de 2 kg par personne et par an, aujourd’hui elle en est à près de 50 kg. (Bernard Pellegrin : Sucre, l’enquête sur l’autre poudre. Ed Tallandier, 2017.)

Et pourquoi en mangeons-nous autant ? Parce que c’est associé à du plaisir.

Pour 61% des français, manger des bonbons, c’est synonyme de pouvoir se faire plaisir à tout moment. Leur sont attribuées des vertus apaisantes. Les bonbons se partagent, avec les enfants et au cours de sorties ou soirées entre amis. Mais… les personnes les plus stressées sont aussi celles dont l’alimentation est la plus sucrée. Il est communément admis de combattre les moments de découragements par une petite douceur…

Prime au principe de plaisir uniquement ?

Le principe de réalité entre également en jeu. Tous les nouveau-nés humains et même primates expriment la satisfaction lorsqu’on leur donne un peu d’eau sucrée. Ce goût inné trouvait certainement une raison d’être à une époque où les ressources alimentaires étaient plus incertaines. Le sucre étant la source d’énergie du cerveau, c’est vital pour les humains de rechercher et aussi d’aimer le sucré.

Pourquoi aimons-nous le sucre ?

Nous naissons avec, sur la langue, des récepteurs capables de détecter le sucre.

Quand un fruit est sucré par exemple, cela signifie qu’il est mur et nutritif. Souvent les poisons sont amers, c’est donc également une sécurité !

Le sucre, une attirance liée à l’enfance, la toute petite enfance ?

En effet, le lait maternel consommé par le nourrisson est naturellement riche en sucre (lactose). Il a ainsi développé l’appétence pour ce goût, gravé à tout jamais.

« Ma mère ne m’a pas allaité » Le lait industriel (pour la plupart fabriqué avec du lait de vache) contient des doses de saccharose, ainsi nous sommes tous habitués au goût sucré.

Ainsi donc nous avons en partage depuis la nuit des temps cette appétence.

Et l’industrialisation a joué dessus.

Or…Une consommation abusive de sucre déclenche une sécrétion excessive d’insuline, responsable de la régulation du glucose dans notre corps. Les graisses sont dès lors stockées et notre poids augmente en flèche.
De plus, un pic de glycémie entraine indéniablement une fringale.

Et c’est là où les choses se compliquent.

Car un « bonbon », cela s’entend, ce n’est pas considéré comme « mauvais-mauvais ».

Le sucre est ainsi ancré dans nos expériences non seulement physiques mais aussi affectives ; ce qui en fait un produit bien spécial. Ajoutons enfin ses caractéristiques addictives surpuissantes que Bernard Pellegrin présente si bien. Le sucre rend plus dépendant que la cocaïne.

La décharge de plaisir dans le réel du corps se surajoute à tout ce qui a été esquissé ci-dessus. Il crée donc bien évidemment du manque et entraîne la répétition. Voilà pourquoi tant de patients nous en parlent !

C’est un remède au désir. C’est enfin un objet transitionnel puisqu’il incarne cet autre qui a été source de tant de satisfactions inscrites au plus profond de soi, l’expérience assied la certitude de retrouver une sensation apaisante. Il suffit de recommencer pour la retrouver…C’est donc un objet de désir rassurant.

Pouvoir nommer ce qui va satisfaire le désir est si rassurant.

Cela fait du sucre un désir sans faim.

Comme sur tout objet de désir, objet transitionnel désigné, on projette sur lui les qualités qu’on lui prête, qualités propres à celui qui les recherche.

De quoi le sucre est-il le nom ? Ceci appartient à chacun, dans sa singularité.

Il aurait le goût de bonheur ! Ceci est commun à l’humanité semblerait-il.

Alors, pourquoi ça rate ?

Parce que ce n’est pas ça… il y a toujours un décalage, un écart, c’est inscrit dans la quête même. Ce qui est attendu de l’objet de désir, il ne peut l’offrir puisque les qualités qui lui sont prêtées ne lui appartiennent pas, il ne fait que les soutenir, les endosser, les incarner, mais ces qualités apartiennent à la personne qui les recherche. C’est sans fin.