« Le mécanisme général de la projection dont je crois qu’il est inhérent à la vie et dont l’expression psychique vise à garder ce qui sera constitutif de soi et ce qui doit lui demeurer étranger »

M. Neyraut

 

Qu’est-ce que la projection ?

Définition

Le terme « projection » n’appartient pas de façon exclusive au vocabulaire psychanalytique. De nombreuses disciplines comme la neurologie, la philosophie, la balistique, la physique, la géométrie et l’architecture, utilisent également ce terme, mais avec une acception particulière.

Étymologiquement, la projection est l’acte de « lancer en avant » ; au figuré, c’est « émettre au-dehors ». Projeter, c’est aussi : « Émettre en avant une idée ou un dessein »[1], comme faire des projets ou se projeter dans l’avenir. L’usage du terme « projection » dans le langage courant s’est à tel point banalisé, qu’il s’est dilué dans des acceptions pas toujours appropriées. Néanmoins, il demeure un mécanisme banal et omniprésent dans la vie quotidienne, à tel point que chacun « fait de la projection » sans le savoir.

Depuis Freud, la théorie psychanalytique, fondée sur la clinique, a donné au concept de projection une signification spécifique. Qu’est-ce que la projection pour la psychanalyse ?

C’est d’abord un mécanisme de défense, que Sigmund Freud définit comme l’opération mentale inconsciente, par laquelle un sujet attribue à autrui ses propres sentiments, pulsions, pensées, affects et désirs, qu’il refuse de reconnaître en lui-même. Or, qu’est-ce qui est projeté ? sinon l’indésirable, c’est-à-dire le désagréable, l’intolérable.

Cette opération consiste à rejeter hors du moi du sujet quelque chose issu du dedans qui lui est déplaisant. C’est ensuite une façon, pour lui, de combattre l’angoisse. Ainsi, le danger est externalisé, puisque expulsé dans l’Autre. Par exemple, nous connaissons tous la tendance à dénoncer chez autrui ce que nous essayons de nier en nous-même.

Par ailleurs, Freud, insiste sur le caractère normal le plus universel du mécanisme de la projection. C’est ainsi, qu’il voit dans la mythologie, la superstition et dans les croyances animistes, une projection. Elle peut néanmoins devenir pathologique, si elle prend des proportions vertigineuses, comme dans le délire de jalousie.

La projection en psychanalyse

 Selon la psychanalyste, Joan Rivière : « Dans la vie quotidienne, l’exemple le plus simple de la projection est le toi aussi. Si quelqu’un nous attribue une chose déplaisante, nous supposons souvent instantanément qu’en fait cette chose est en lui. »[2] Remontons un peu dans le temps, et souvenons-nous de la cour de récréation de notre enfance et de cette expression souvent entendue dans la bouche d’un enfant : « C’est celui qui dit qui l’est ».

Dans cet exemple, le mécanisme de la projection correspond à un « ne pas vouloir être », où le sujet rejette au dehors de lui ce qu’il refuse d’être pour l’autre : « Ce n’est pas moi, c’est toi ». La projection repose donc sur la polarité dedans-dehors. Le dedans, selon Lacan, « c’est ce qui est dans son sac de peau »[3] et le dehors « c’est tout le reste »[4] et plus précisément, dans ce dehors nous avons à faire à l’Autre. Or, poursuit Lacan, « De ce qui est à l’extérieur, après tout, vous ne savez que ce qu’il y a dans votre tête. Par conséquent, à quelque titre que ce soit, ce sera toujours une représentation »[5].

Ainsi formulée, la projection débouche nécessairement sur la question de la perception, considérée comme l’une des activités du moi. En effet, ce que nous percevons à chaque moment est la résultante de ce que nous sommes : je ne peux connaître l’Autre qu’à travers moi. Ainsi, la projection soulève, de façon prégnante, toute la complexité des relations entre le sujet et l’Autre, puisqu’il n’apparaît toujours qu’à travers le miroir déformant de l’image que je lui prête.

La projection est une opération essentiellement imaginaire dans la mesure où le sujet se projette sur l’écran que devient l’Autre, avec ce que cette projection comporte de méconnaissance, d’aliénation, d’amour et d’agressivité. Par exemple, il est toujours plus facile de voir la haine et l’agressivité chez autrui que dans soi-même, dans d’autres pays, plutôt que dans le sien. Il en va de même quand un sujet dénonce, par exemple, chez l’autre un appât du gain, un égoïsme ou une agressivité qu’il sent peut-être à son tour, mais n’est pas prêt à reconnaître en lui. Nous nous déchargeons volontiers sur autrui de nos pulsions agressives et a- sociales.

 Illustrations cliniques

Les manifestations du mécanisme projectif dans la clinique sont multiples. Nous pouvons rapidement en donner deux illustrations : la jalousie et la phobie.

 La jalousie projective

Selon Freud, la jalousie projetée provient, en grande partie, du refoulement des désirs d’infidélité envers son partenaire sexuel. On sait par exemple, nous dit-il : « que la fidélité, surtout celle qui est exigée dans le mariage, ne peut être maintenue que contre des tentations constantes »[6]. Ces dernières ne sont pas toujours reconnues. De la sorte, le sujet, en refoulant cette partie intolérable, projette parfois sur son partenaire ses propres désirs d’infidélité. Ce faisant, il détourne son attention de son propre inconscient, la déplace sur celui de l’Autre.

Pendant tout le temps où le sujet le soupçonne et l’accuse de toutes les exactions, il se « blanchit » en quelque sorte de ses propres tentations d’infidélité. Et se dispense autant d’auto-reproches potentiels concernant la sienne propre. On retrouve ce qui est toujours présupposé dans la définition psychanalytique de la projection : un rejet sur l’autre de la part de soi qui est refusée, refoulée, déniée.

La projection dans la phobie  

En quoi consiste la projection dans la phobie ? Selon Freud, la projection est assujettie au refoulement. Il décrit ainsi l’ensemble de la construction phobique comme une véritable projection d’un danger pulsionnel interne que le sujet déplace vers l’extérieur, par exemple, sous la forme de la peur d’un animal. Au départ, une phobie débute par une angoisse dont le motif et l’origine sont inconnus du sujet.

A ce propos, Freud souligne : « Le moi se comporte comme si le danger d’un développement d’angoisse ne venait pas d’une motion pulsionnelle, mais d’une perception et il est donc fondé à réagir contre ce danger extérieur par les tentatives de fuite que sont les évitements phobiques »[7]. D’où l’idée pour le sujet phobique, de déjouer toutes les situations où il sera confronté à l’objet redouté qui a provoqué sa première attaque de panique.

Le sujet va devenir en quelque sorte un fin stratège en découpant par exemple son itinéraire quotidien en « zones interdites », afin d’être certain de ne pas rencontrer son objet phobogène et ainsi d’éviter que l’angoisse ne se répète.

Au final, Freud considère la projection comme normale puisque : « taper sur le clou d’à côté, viser à côté de la cible, c’est normal ! »[8]. Ainsi, le propre du sujet « normal » ne consiste- t-il pas à trouver une causalité externe à son angoisse, afin de scénariser un conflit interne qu’il n’arrive pas à résoudre.

[1] Dictionnaire Larousse

[2] Mélanie Klein, Joan Rivière, L’amour et la haine, Ed Payot, Paris, 2001, p. 27.

[3] Jacques Lacan, Séminaire XVI, D’un autre à l’autre, Ed Seuil, Paris, 2006, p. 282.

[4] ibid

[5] ibid

[6] S. Freud, Sur quelques mécanismes névrotiques dans la jalousie, la paranoïa et l’homosexualité in Névrose, psychose et perversion, PUF, 1999, p. 272.

[7] S. Freud, L’inconscient in Métapsychologie, Ed Folio essais, Paris, 1968, p. 93.

[8] Charles Melman, Travaux pratiques de clinique psychanalytique, Ed Eres, Paris, 2013, p. 266.