» Sucre. Enquête sur l’autre poudre » de Bernard Pellegrin

Quoi de plus doux que le sucre. Et pourtant l’humanité comptera bientôt la moitié de ses habitants en surpoids. Accusé sucre, levez-vous ! Entre les discrets betteraviers que l’on entend jamais se plaindre du traitement que leur réserve Bruxelles et les bras de fer de plus en plus rudes opposant corps médical et grandes multinationales de l’alimentation, le sucre apparaît désormais au cour d’une bataille dont les enjeux se chiffrent en milliards d’euros et de dollars. Au point qu’aujourd’hui les grands de la pharmacie particulièrement intéressés par les profits à tirer d’une pathologie en croissance exponentielle le – diabète – se mettent à nouer des liens avec les grands du numérique.

Pourquoi ? Parce que Google pourra demain connaître la glycémie de chacun d’entre nous et croiser ces données pour en tirer sans doute parti au bénéfice des patients et des producteurs de médicaments.

Bernard Pellegrin, aujourd’hui journaliste indépendant, a travaillé pendant trente ans pour l’Agence France Presse où il a été successivement responsable du service des informations générales, rédacteur en chef et directeur- adjoint de l’information. Il a par ailleurs participé à plusieurs émissions politiques sur France Inter et Radio France Internationale.

Pourquoi vous êtes-vous intéressé aux méfaits du sucre dans notre alimentation ?

Bernard Pellegrin : Pour être tout à fait honnête, c’est le directeur de la collection qui m’a demandé de faire ce livre. Puis au fil de l’enquête, j’ai trouvé de plus en plus d’intérêt au sujet.

Votre essai dont le titre est très journalistique s’appuie néanmoins sur une étude du professeur Serge Ahmed, chercheur au CNRS à Bordeaux, sur l’addiction au sucre. Il avance que “ le sucre, au même titre que la cocaïne, peut induire un comportement addictif ”. Comment fonctionne dans ce cas l’addiction au sucre ?

Bernard Pellegrin : Serge Ahmed décrit très bien le phénomène physiologique, lié au fonctionnement de différents types de neurones dans notre cerveau, qui rend tout un chacun dépendant du sucre. Ce mécanisme repose sur le plaisir, soit pour se récompenser de quelque chose, soit pour retrouver les sensations déjà éprouvées une fois précédente. C’est ce phénomène qu’on appelle l’addiction et qui est à l’œuvre pour toute une série de produits et d’activités qu’il s’agisse de la drogue, de l’alcool, du tabac mais aussi du sport, du travail, des écrans… et bien sûr du sucre.

Vous dites dans votre essai que le sucre est absolument partout sous forme de sucres ajoutés comme : saccharose, sirop de glucose, lactose, dextrine, fructose…. Nos assiettes sont donc sursaturées de sucre, au point dites-vous “qu’il n’est pas exagéré de dire qu’une civilisation du sucre est née, il y a quelques décennies”. Ce désir du sucre a été théorisé aux Etats-Unis sous l’appellation de « Bliss point », traduit par “point de félicité” ou “bonheur suprême”. En quoi consiste ce « Bliss point » ?

Bernard Pellegrin : C’est une notion de marketing. C’est le niveau de saturation maximum d’un produit en sucre avant que le plaisir procuré ne se transforme en dégout ou en rejet. On pourrait imaginer que le taux maximum de sucre soit 100% mais manger du sucre à la petite cuillère est très difficile. Au bout de quelques cuillerées à peine, il se produit une réaction de rejet. Le « Bliss point » peut évidemment varier selon les pays, les individus, les âges de la vie etc. Dans de nombreux pays par exemple, les sodas sont beaucoup plus sucrés que dans d’autres parce que les consommateurs se sont habitués à un goût très sucré.

Aux Etats- Unis, un journaliste du “New-York Times” a prouvé comment l’industrie du sucre a acheté des chercheurs afin de minimiser les liens entre le sucre et les maladies cardio-vasculaires. Qu’en est-il en France ?

Bernard Pellegrin : Les conflits d’intérêt sont les mêmes qu’aux Etats-Unis mais à moindre échelle. Le CEDUS, le lobby qui défend notamment l’industrie du sucre issue de la betterave, très importante en France, est par exemple très actif auprès des chercheurs français. Ce lobby a d’ailleurs attaqué mon livre en justice pour « diffamation et dénigrement du sucre ». Il réclamait l’interdiction du livre et 100.000 euros de dommages et intérêts. Il n’a pas eu gain de cause.

Vous évoquez les “maladies du sucre” comme l’obésité, les maladies cardio-vasculaires, le diabète de type 2 mais aussi certains cancers. Qu’en est-il de ces maladies et de leurs liens avec la consommation du sucre ?

Bernard Pellegrin : Comme indiqué dans le livre, un excès de sucre dans le sang entraine un surstockage des graisses dans les tissus adipeux (obésité) ainsi qu’une glycémie trop importante (diabète de type 2). Les maladies cardio-vasculaires sont liées à ces deux phénomènes (à d’autres aussi bien sûr). S’agissant du cancer, plusieurs recherches ont montré que les cellules cancéreuses sont plus « gourmandes » en sucre que les autres. Il faut ajouter une maladie nouvelle, liée à l’hyperconsommation de sucre, qu’on appelle aujourd’hui « la maladie du foie gras ». Ca n’a bien sûr rien à voir avec le foie gras de Noël, mais à la saturation en graisse des tissus de cet organe. Un peu comme pour la cirrhose, mais sans alcool.