Le démon de midi des hommes aux tempes grisonnantes

Le démon de midi des hommes aux tempes argentées

Petite définition

L’expression “démon de midi” désigne, nous dit le Petit Robert, “ de tentations de nature affective et sexuelle qui s’emparent des humains vers le milieu de leur vie”. Ce “démon de midi” dans le langage populaire frappe un homme dit “mûr” qui s’éprend d’une “jeunesse”.

A notre époque, c’est vers la quarantaine, la cinquantaine que se joue la crise du milieu de la vie, sans doute parce que le sujet ressent les limitations imposées par l’âge.

La nécessité de revaloriser sa féminité ou va virilité peut resurgir à tout âge.

Quid du “démon de midi” au féminin? serait-il l’apanage des hommes?

S’il est préférentiellement une passion de la virilité, il existe autant chez la femme. Il est chez elle plus étroitement dépendant de la maternité et de ses suites.

Il sonne en quelque sorte comme l’heure d’un bilan au mitan de la vie et débouche sur un tournant qui peut se révéler pour certains comme une vraie renaissance. Ce démon de midi ne constituant qu’une des réactions possibles à ce bilan du milieu de vie. Comme le dit Paul-Laurent Assoun, “le démon en question dé-conjugalise”. Il dénoue les liens institués qui ne tiennent plus, alors que le désir domestiqué se cabre et que le sujet vit cette expérience de la tentation pulsionnelle où le sexuel reprend ses droits.  

En quoi “le démon de midi” intéresse t’- il la psychanalyse? L’analyste serait-il un expert en démon, “un sorcier”, censé accueillir le “possédé” afin “d’exorciser” l’angoisse que peut susciter le ravage d’avoir été confronté à un désir qui flambe? Clinique de la “psychologie de l’amour” que l’analyste peut rencontrer à travers l’épisode de la vie d’un patient ou d’une femme délaissée qui vient demander des clefs pour “ désenvouter” un mari qui a changé, dit-elle, “du jour au lendemain”. Son gentil mari oblatif a mué en “sale égoïste” qui se prend pour un jeune, s’achète une Harley-Davidson, se teint les cheveux pour s’en aller butiner vers de plus verts pâturages. “Changement d’herbage réjouit les veaux” dit le proverbe. Changement d’herbage réjouit aussi et surtout l’homme mûr rêvant d’ivresse et de chair fraîche.

Cet évènement pulsionnel fait parler et même bavarder, alimentant la littérature, le théâtre, le cinéma en passant par ces “brèves de comptoir” décrivant, sur le registre tragi-comique, “ce dérapage” à la loi du devoir conjugal.   

“Angoisse de vieillissement”

L’enjeu spécifique et essentiel du démon de midi semble bien être la confrontation de l’angoisse de l’homme au temps qui passe, à la vieillesse qui s’annonce et à la mort qui pointe à l’horizon. Cette mort dont, en général, nous ne voulons rien savoir. D’ailleurs, Freud alors âgé de 59 ans disait : “ Nous soutenions volontiers que la mort est la fin nécessaire à la vie (…) Cependant, en réalité, nous avions l’habitude de nous comporter comme s’il en était autrement. Nous manifestons une nette tendance à mettre de côté la mort, à l’éliminer de notre vie. Nous essayons d’étouffer l’affaire (…) Personne ne croit à l’éventualité de sa propre mort (…) dans l’inconscient, tout le monde est convaincu d’être immortel”.

Dans cette lutte contre l’angoisse du vieillissement et de la mort, quelque chose de fondamental s’est modifié dans notre rapport au temps : nous avons gagné deux décennies de vie supplémentaires, prolongeant pour chacun le temps de la désirabilité.

Le démon de midi fait figure en quelque sorte de classe de rattrapage pour celui qui estime avoir encore devant lui “des lendemains qui chantent”. Or, la sexualité de l’homme mûr subit quelques modifications inévitables. L’érection peut devenir “capricieuse”, elle ne réagit plus aussi rapidement et peut prendre plus de temps à s’établir, aboutissant parfois à des pannes sexuelles. La baisse de la puissance physique ne signifie pourtant pas que le désir diminue.

Freud nous a appris que nous possédons en nous une instance psychique, appelée le “ça”, qui fonctionne comme un chaudron d’excitation. Or, dit Freud, le “ça” ne vieillit pas; dans la circulation de la libido, il n’y a ni jeune, ni vieux; le désir n’a pas d’âge. Ce que nous apercevons dans le miroir, c’est le moi; lui seul enregistre la perte, le temps passé. C’est la satisfaction pulsionnel du “ça”, qui maintient ce temps passé comme présent. Le corps organique continue à vieillir mais le corps pulsionnel réclame en quelque sorte son dû de jouissance.

Face à ces défaillances sexuelles, physiologiques et physiques, l’homme aux tempes grisonnantes peut rechercher un coup de fouet phallique à l’extérieur du lien conjugal pour stimuler une libido en berne, lutter contre la castration dans ces diverses limitations qui lui sont imposées.

Aidé par la petite pilule bleue, il retrouve par là- même sa capacité à s’ériger et donc à se sentir vivant. “Je bande, donc je suis” résonne pour certains hommes comme une équivalence entre la sexualité et la vie. Comment remédier aux entames du narcissisme que l’homme rencontre à la cinquantaine? Comme le dit Romain Gary,”le temps est le plus grand travelo que je connaisse” et l’”irréparable outrage du temps” se voit sur la tête (la calvitie), le corps ( la bedaine), la peau (rides). “Les hommes ne vieillissent pas mieux que les femmes; ils ont seulement l’autorisation de vieillir” , comme si leur vieillissement ne comptait pas. “ Les hommes n’ont pas de corps” écrit Virginie Despentes, alors que pèse sur la femme l’injonction de paraître éternellement jeune. On a vite fait de la traiter de “ vieille peau”, alors que l’on se pâme devant le beau visage tanné de Clint Eastwood, 87 ans.     

La recherche d’un nouvel amour, platonique ou non, est d’autant plus “rajeunissant” et narcissisant que le nouvel objet d’amour est une jeune femme, non encore atteinte par le vieillissement.  

Un nouvel amour, comme réaction à l’angoisse de castration

Comme la clinique et la littérature nous l’enseignent, tout nouvel amour, quel que soit l’âge de l’objet d’amour, induit chez le sujet un sentiment de jouissance et de renaissance. Ce sentiment sera d’autant plus grand que le nouvel amour sera en âge d’être sa fille. Il pourra se lancer dans une nouvelle paternité qui sera d’autant plus un gage visible de sa virilité, une confirmation de sa puissance. De Neuter souligne que “ amour et procréation se font tentative de guérison de l’angoisse suscitée par le vieillissement et la mort; angoisse que Freud a rapproché de l’angoisse de castration”.

Ces nouveaux liens amoureux entre un quinquagénaire et une jeune femme n’échappent pas aux irrémédiables turbulences du conjugo. Par exemple, la frigidité de certaines jeunes femmes avec leur mari devenu un peu trop mûr, n’est-elle pas une façon de refuser de jouir avec un substitut paternel. S’ajoute à cela la haine dont la jeune compagne devient l’objet de la part des enfants du premier lit ou que provoquent dans un autre cas de figure encore les incursions de l’ex-compagne. C’est peut-être en partie pour ces raisons que certains hommes ne se contentent que de menus entrechats sur le versant de l’infidélité.

Néanmoins, avec une partenaire plus jeune, il pourra plus facilement compenser sa perte de puissance physique par sa puissance sociale et économique. L’argent est une des formes du phallus imaginaire qui favorise les hommes. Aujourd’hui beaucoup de femmes de la cinquantaine occupent une position de prestige sur le plan professionnel. Elles montent leurs propres entreprises, créent leur Start-up ou reprennent des études universitaires. Le mari peut avoir l’impression que la “balance du pouvoir” penche du côté de la femme et que le phallus n’est plus de son côté à lui. “Ceci nous aide aussi à comprendre les difficultés que peuvent rencontrer certains hommes avec des femmes pourvues de ces attributs phalliques que constituent le savoir universitaire, le pouvoir politique ou encore la réussite financière”. Woody Allen, marié avec une femme de trente cinq ans de moins que lui dit, ne pas considérer l’égalité comme un pré-requis dans un couple: “Parfois, l’égalité dans une relation est formidable, mais parfois aussi c’est l’inégalité qui fait que ça marche”. Cette dissymétrie du registre phallique se retrouve chez le professeur d’université qui choisit une étudiante qui le regarde avec émerveillement et rarement une collègue aussi brillante que lui; même chose pour le médecin qui choisira une infirmière plutôt qu’une collègue. La raison c’est qu’il puisse voir dans ses yeux que le phallus est de son côté à lui et qu’elle l’admire.

Si les difficultés de la cinquantaine sont multiples, il n’y a pas une réponse mais des réponses que chacun/chacune essaye de trouver pour affronter “l’angoisse de castration”, à laquelle personne n’échappe. Le démon de midi n’est qu’une tentative de solution parmi d’autres.