« Cher Monsieur, si je n’ai pas répondu hier à ce que vous m’avez demandé des juifs. C’est pour cette raison très simple : si je suis catholique comme mon père et mon frère, par contre, ma mère est juive (…) ».

Lettre adressée par Marcel Proust à Robert de Montesquiou

 

 

 

Marcel Proust (1871-1922)

Du côté de la mère

Exposition au musée d’art et d’histoire du judaïsme du 14 avril au 28 août 2022

 

Le centenaire de la mort de Marcel Proust donne lieu à une importante production éditoriale et à trois expositions : une au musée Carnavalet, une autre à la Bibliothèque nationale de France et enfin le musée d’art et d’histoire du judaïsme, s’intéresse à la « part juive » de l’écrivain, cette composante de son hérédité, de son éducation et de sa culture, pour mieux en saisir l’incidence dans son œuvre. D’ailleurs, A la recherche du temps perdu abonde de références aux juifs et au judaïsme ; elles sont souvent ambivalentes et cryptées mais, à bien y regarder, fondamentales, notamment lorsqu’il aborde l’affaire Dreyfus.

Cette exposition, est la première manifestation en France à présenter l’écrivain à travers le prisme de sa judéité. Elle rassemble près de 150 peintures, dessins, gravures, ouvrages, documents – dont des œuvres majeures de Monet (l’un de ses peintres préférés), Rodin, Bonnard ou Vuillard -, ainsi que des épreuves de Du côté de chez Swann et de Sodome et Gomorrhe, corrigées par l’auteur.

Après avoir mis en lumière le lien de Proust avec sa famille maternelle, les Weil — israélites français parfaitement intégrés à la bourgeoisie moderne de leur temps qui jouèrent un rôle important dans l’histoire des juifs de France —, l’exposition s’articule autour de plusieurs thèmes abordant les sociabilités de l’auteur, son engagement au moment de l’affaire Dreyfus, sa vision de l’homosexuel considéré comme un alter ego du juif, l’éclosion d’une modernité portée par des intellectuels et des artistes juifs au début du 20e siècle, ainsi que la question de la mémoire comme élément central de l’identité juive et de l’écriture de la Recherche ( « Albert Cohen fut le premier à remarquer, dès 1923, les coïncidences entre la phrase proustienne et la phrase talmudique[1] »).

Après la mort de sa mère, Jeanne Weil, en 1905, Proust se met au travail en pensant qu’il lui serait : « si doux avant de mourir de faire quelque chose qui aurait plu à Maman[2] ». Une façon pour le fils chéri de faire perdurer le lien qui l’unit à sa mère. D’ailleurs, Proust n’a pas oublié d’où il vient. Il reste connecté à ses racines juives et son œuvre littéraire fait en quelque sorte office de « travail de mémoire » pour la famille Weil, berceau affectif et culturel de l’écrivain. Par ailleurs, Proust n’a jamais avoué publiquement qu’il était juif. Il n’a pas honte de ses origines, mais il redoute les attaques antisémites dont il a pu être témoin et que sa famille lui a racontées. Il reste donc discret sur sa judéité ainsi que sur son homosexualité, qu’il préfère appeler inversion. Ces deux points fondamentaux de sa personne seront présents tout au long de son œuvre. Les deux personnages juifs de la Recherche, Charles Swann et Albert Bloch, apparaissent du début à la fin de l’œuvre. Quant à la figure de l’homosexuel dans la Recherche, elle est incarnée par le baron de Charlus, l’un des acteurs principaux de Sodome et Gomorrhe. En tout état de cause, l’homosexualité réapparait de façon récurrente dans la Recherche.

L’exposition évoque également les lieux qui ont marqué sa vie, sa participation à la Revue blanche, l’influence qu’eut sur lui l’écrivain anglais John Ruskin – dont Proust et sa mère traduiront Sésame et les lys –, la structure des manuscrits proustiens rappelant celle du Talmud, son intérêt pour l’histoire d’Esther ou le Zohar, les personnages juifs de la Recherche, l’antisémitisme dans la France de la fin du 19e et du début du 20e siècle, ou encore la réception critique de ses ouvrages dans les revues sionistes des années 1920.

À travers la judéité de l’écrivain, l’exposition révèle aussi cette empreinte essentielle, trop souvent ignorée, de la France du 19e siècle, où les juifs ont trouvé des possibilités d’intégration sans équivalent dans l’histoire européenne et purent accéder à tous les domaines de la vie politique, économique, sociale et culturelle.

Proust reste un fin observateur des élites françaises et il a su décrire l’âme humaine avec beaucoup d’acuité et de modernité. Son « esprit juif » a peut-être contribué à faire de lui le plus français des écrivains.

[1] Antoine Compagnon, Proust du côté juif, Ed Gallimard, Paris, 2022, p. 113.

[2] Lettre de Marcel Proust à Lucien Daudet, dans Correspondance de Marcel Proust, t.VI : 1906. Paris, Plon, 1980, p.100.