« Mars » de Fritz Zorn

« Je suis jeune, riche et cultivé ; et je suis malheureux, névrosé et seul. Je descends d’une des meilleures familles de la rive droite du lac de Zurich, qu’on appelle aussi la rive dorée. J’ai eu une éducation bourgeoise et j’ai été sage toute ma vie. »

Ainsi débute le récit posthume d’un jeune zurichois qui a fasciné toute une génération. Fritz Zorn commence à écrire son autobiographie en 1976, alors qu’il est mourant, souffrant d’un cancer à seulement 32 ans. Peu de temps avant son décès, il apprend que son livre va être publié, mais la maladie l’emporte avant que le livre ne paraisse.
Né Fritz Angst (angoisse), il se choisit Zorn comme pseudonyme qui en allemand signifie colère. Laquelle, trop longtemps corsetée, il la déversera sur le papier, faute d’avoir pu l’exprimer au sein d’une famille bourgeoise où son « éducation au conformisme fut parfaite ». Il a grandi dans un monde qui n’avait pas le droit d’être « imparfait », un monde où l’harmonie et la perfection revêtaient un caractère d’obligation.

Eduqué « à dire oui à tout, et mettant en pratique ce qu’on m’avait enseigné, je n’ai opposé de refus en aucune circonstance ». Dès lors, il vit dans un monde où « les problèmes n’existent pas », où l’adhésion à des normes de comportement évite toutes disputes, toutes divergences : « Tout le monde était toujours du même avis ».
Du côté de la mère, les sujets embarrassants sont balayés au moyen du mot « compliqué » qui agit comme une « formule magique » pour préserver « ce qui aurait pu rompre l’harmonie ».
Du côté du père, les choses sont jugées « pas comparables », une façon pour lui de couper court à toute discussion et d’éviter des discussions conflictuelles : « car là où il n’y a pas de frictions, l’harmonie règne, et là où l’harmonie règne, tout est en ordre ».

A cet égard, le conformisme empêche Zorn d’être différent et l’altérité est radicalement absente puisque tout est lu selon des schémas pré- établis qui ne doivent pas être remis en cause. La règle est suivie par tout le monde pour agir et être « comme il faut » c’est-à-dire « simplement correct ».
Dès les premières lignes de Mars, Zorn fait un lien entre son éducation et son cancer : « J’ai reçu une éducation pousse-au-cancer ».

Pour lui, le cancer est une « maladie de l’âme » et l’âme est malade depuis toujours. D’emblée, il donne une interprétation psychosomatique à cette tumeur au cou qui selon lui sont autant de « larmes ravalées ». Il ajoute : « C’était comme si toutes les larmes que je n’avais pas pu- et n’avais pas voulu- verser dans ma vie s’étaient rassemblées dans mon cou pour former cette tumeur, faute d’avoir pu remplir leur fonction véritable, qui était de couler ».

Ces « larmes ravalées » se transformeront en « tombeau de papier » qui est une façon de donner/créer du sens à ce qui n’en a pas.

Par l’acte d’écrire, Zorn peut finalement affronter son passé et transformer en quelque sorte sa vie éphémère en destin. Près de 50 ans après sa première parution en 1979, le roman fait l’objet d’une nouvelle traduction française, préfacée par Philippe Lançon qui considère que : « Mars est la révolte éclatante, inaugurale et terminale, d’un homme jeune, célibataire, impuissant, névrosé, malade, qui reste maladivement leur héritier ; d’un homme empêché ».