Sigmund Freud
Du regard à l’écoute
Pour fêter les vingt ans de sa création, le musée d’art et d’histoire du Judaïsme consacre la première exposition en France dédiée à Sigmund Freud (1856-1939). Figure scientifique majeure de la fin du XIX e siècle et de la première moitié du XX e, Sigmund Freud est l’auteur d’une oeuvre considérable qui a révolutionné la connaissance de la psyché humaine. Cette exposition nous plonge dans le “monde de Freud”. Elle retrace en neuf séquences, les étapes de la vie de l’inventeur de la psychanalyse en illustrant son cheminement intellectuel et scientifique à travers un ensemble d’oeuvres et de documents.
- Première séquence: Freud neurobiologiste (1876-1896).
Passionné par les sciences naturelles, Freud entreprend des études de médecine. Etudiant, il s’initie à la microscopie avec Carl Brühl (1820-1899) et travaille dans le laboratoire d’anatomie comparée du darwiniste Carl Claus (1835-1899) à Trieste. Ses premières publications portent sur les organes sexuels de l’anguille. Les contributions de Freud dans le domaine de la neuro anatomie microscopique ont eu une certaine importance.
- Seconde : La salpêtrière, magnétisme, hystérie et hypnose (1885-1886).
La Salpêtrière retrace l’importance du séjour parisien auprès de Charcot, figure inséparable de l’histoire de l’hystérie, de l’hypnose et des origines de la psychanalyse ( cf photo “Une leçon clinique à la Salpêtrière” d’André Brouillet). Charcot jouera un rôle fondamental dans la formation de Freud, qui assista à ses démonstrations cliniques de la Salpêtrière entre octobre 1885 et février 1886.
- Troisième : Freud évolutionniste, l’ère de la généalogie.
Freud a évoqué l’”attrait puissant” que le darwinisme a exercé sur lui, comme “promesse de compréhension du monde”. Depuis sa jeunesse, il ne cessera de se confronter avec les thèmes posés par la révolution darwinienne, qu’il comparera à celle introduite par Nicolas Copernic (1473-1543) dans la cosmologie. Pour Freud, nos comportements ont leur origine non seulement dans notre histoire individuelle, mais aussi dans notre passé collectif. Si nombre de nos comportements sont difficiles à expliquer, c’est parce que la civilisation en a bridé les manifestations les plus extrêmes ou les a détournés de leur finalité première. Freud, qui reconnaît la nécessité de contenir cette part la plus animale de l’être humain, incompatible avec la vie en société, sait que son refoulement est aussi une source de grande souffrance psychique, à l’origine des névroses. Il conclut ses Cinq leçons sur la psychanalyse (1910) par une proposition nuancée: “Ne négligeons pas tout à fait ce qu’il y a d’animal dans notre nature”.
- Quatrième: Le divan et la naissance de la psychanalyse.
A la Salpêtrière, Sigmund Freud découvre l’hypnose dans le service de Jean-Marie Charcot. Hypnose qu’il abandonnera rapidement, mais qui lui révèle le pouvoir de suggestion du médecin sur son patient. Freud analysera la puissance de ce lien thérapeutique, qu’il nomme “transfert”, et la possibilité de le canaliser vers des fins cliniques. Le thérapeuthe est aimé – ou haï – car le patient transfère sur lui des désirs qu’il éprouvait pour son père ou sa mère : le patient revit symboliquement des pans de son enfance et voit émerger ses souvenirs enfouis. Selon l’analyse de ses propres rêves, Freud dira dans L’interprétation des rêves en 1900 que “le rêve est la voie royale vers l’inconscient”. A cette époque, il croit que les névroses sont la conséquence d’abus sexuels commis par des adultes pervers. Or, avec ce travail d’exploration, il découvre que l’inconscient est peuplé de fantasmes incestueux, meurtriers, datant de l’enfance. Son auto-analyse amène également Freud à découvrir que les songes et les symptômes psychiques parlent le même langage codé : ils dissimulent les désirs que nous préférons taire.
Il utilise l’association libre; pour permettre à ses patients de parler librement, il met à leur disposition un divan. La position allongée, qui évoque l’abandon et le sommeil, est censée diminuer la résistance du patient, favoriser l’émergence des souvenirs refoulés, faciliter le transfert.
- Cinquième : Le cabinet des antiques pointe son intérêt pour l’archéologie et les mythes. Sigmund Freud commence sa collection dès les années 1880. Il achète la plupart de ses pièces auprès d’antiquaires viennois et lors de ses voyages en Grèce, en Italie….A sa mort, Freud possède plus de trois mille antiques. Le patient qui entre dans son cabinet se trouve alors face à des centaines de figurines. ( cf photo)
- Sixième : La science des rêves ( 1900).
L’interprétation des rêves, ouvrage publié en 1900, s’est imposé comme un des textes fondateurs de la psychanalyse. Pour Freud, le rêve est une formation psychique propre au rêveur et douée de sens, mais qui ne se laisse pas aisément décrypter car l’activité onirique met en scène des désirs refoulés qui se manifestent sous un déguisement. La science des rêves a exercé une influence sur les surréalistes tels que Dali, Masson ou Picasso. ( cf photo)
- Septième : La vie sexuelle (1905).
En 1905, lorsque Freud publie Trois essais sur la théorie sexuelle, suivi un peu plus tard de Contribution à la psychologie de la vie amoureuse, la sexualité est déjà l’objet de nombreuses études scientifiques, comme celle du psychiatre Richard von Krafft-Ebing (1840-1902) qui a publié Psychopathia Sexualis où il envisage la sexualité sous ses aspects les plus divers. Le rôle de la sexualité dans la vie psychique est aussi au centre des préoccupations de beaucoup d’artistes, en particulier à Vienne, avec Gustav Klimt ou Egon Schiele. ( cf photo)
Dans son ouvrage Freud décrit ce qu’il nomme “libido”, une énergie vitale ayant sa source dans la sexualité. Pour lui, il est impossible de concilier les exigences de cette pulsion sexuelle, dont le but est la recherche égoïste du plaisir, avec les attentes de la civilisation qui impliquent entente et cohésion sociale. Le refoulement de la libido entraîne le plus souvent des troubles psychiques, des névroses. Cette énergie vitale peut également se déplacer vers des buts non sexuels. Sa sublimation serait à l’origine notamment des oeuvres d’art qui elles, sont socialement reconnues et admirées.
- Huitième : Le mouvement surréaliste et ses influences dans les années 1920.
En 1928, Louis Aragon et André Breton célèbrent dans La révolution surréaliste le cinquantenaire de l’hystérie. Le texte présente l’hystérie comme “la plus grande découverte poétique de la fin du XIX e siècle”. Selon eux, l’hystérie n’est pas un phénomène pathologique, mais un “moyen suprême d’expression”. Pour Breton, la femme, par sa nature passionnelle, est la source et la fin de toute création. Ses convulsions et ses souffrances suffiraient à faire d’elle une artiste.
La même année, Breton publie Nadja, errance désoeuvrée d’une jeune femme qui finira internée dans un asile. Le livre se referme sur une prophétie esthétique, qui semble tout entière tirée de l’iconographie des hystériques de la Salpêtrière: “ La beauté sera CONVULSIVE ou ne sera pas.
- L’exposition se conclut sur la dette de Freud envers le judaïsme avec le Moïse sculpté par Michel-Ange pour le tombeau de Jules II dans l’église Saint-Pierre-aux-Liens à Rome – Freud avait été saisi par cette oeuvre à laquelle il consacre un article en 1914 – dont l’exposition présente un rare moulage ancien conservé par l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts (cf photo).