La chute de l’intime

La mélancolisation du discours

Laurence Joseph

 

Disons- le d’emblée : ce court essai de Laurence Joseph, psychanalyste et psychologue clinicienne, s’ouvre sur la figure de Mélusine, personnage mythologique, qui fait son entrée à la fin du XIVème siècle avec le roman de Jean d’Arras, Histoire de Lusignan ou Le Roman de Mélusine. Mélusine, c’est la femme mystérieuse, d’une grande beauté. La légende raconte que chaque samedi, elle devient serpent au-dessous du nombril. De plus, si un jour elle se marie, son époux lui laissera une journée de liberté, où il ne cherchera pas à la voir. On peut imaginer aisément que le mari, poussé par la jalousie et la curiosité, rompra le pacte et découvrira que son épouse est une femme serpente.

Mélusine, c’est cette femme condamnée, à mener une double vie : d’un côté, elle est femme et mère, inscrite dans le social et puis à un autre moment, elle est femme serpente où pendant quelques heures elle se dérobe au regard de son mari pour protéger son territoire de jouissance.

Le propos de cet essai est de montrer combien ces territoires de l’intime ont été mis à mal par la situation sanitaire, avec ses contraintes, ses empêchements et ses confinements. L’actualité a ainsi mis en valeur la « chute de l’intime » avec une pente « mélancoliforme » du discours des patients qui peut s’apparenter à un appauvrissement du moi tel que Freud l’a théorisé.

Qu’est-ce que l’intime ? Selon Laurence Joseph, l’intime ne se réduit pas au privé, il est le fruit d’une rencontre, il lui faut de l’altérité, du langage, un horizon pour continuer à désirer, créer, socialiser.

Qu’implique la chute de l’intime pour des individus qui s’en trouvent soudainement privés ? Telle est la question que l’auteure va articuler autour du mythe de Mélusine, qui fonctionne comme un paradigme par « sa nécessité vitale de se cacher, de se retirer, d’être à part, hors champ[1] ». Or, ce retrait mélusinesque « fut impossible lors des restrictions sanitaires[2] » note l’auteure, puisque « la ponctuation temporelle ayant disparu, aucune différence n’y était possible, puisque nous étions soit tout le temps seul, soit tout le temps avec les autres[3] ».

La figure de Mélusine, c’est cette alternance, ce contraste entre d’une part, le visible et le social et d’autre part sa version de retrait et de solitude où « il ne s’agit pas d’une simple soustraction, mais d’une mise en relation avec une partie autre en soi [4]». Elle incarne, selon l’auteure, le sujet de la psychanalyse, lieu de la parole intime qui peut nous transformer.

Selon Freud, le « trésor populaire » des mythes, des légendes et des contes doit être compris comme une « psychomythologie ». Ainsi, pour notre plus grand plaisir, Laurence Joseph s’est saisit d’un mythe médiéval et a fait de la figure de Mélusine un paradigme pour montrer :  « la nécessité pour chacun de posséder des territoires personnels qui délimitent le champ de l’intime[5] ».

 Laurence Joseph est psychanalyste et psychologue clinicienne. Elle est enseignante vacataire à la Faculté de médecine de Paris V Descartes, et rattachée à l’Institut hospitalier de psychanalyse (IHP) de l’Hôpital Sainte-Anne.

[1] Laurence Joseph, La chute de l’intime, La mélancolisation du discours, Ed Hermann, Paris, 2021, p.35.

[2] Ibid, p.36

[3] ibid

[4] Ibid, p. 38

[5] Ibid, p. 6