Psychanalyse et vie covidienne

Détresse collective, expérience individuelle 

Sous la direction d’Ana de Saal & Howard B. Levine

Une première ébauche se dessine sur les effets de la pandémie sur la pratique psychanalytique. « Psychopathologie de la vie covidienne », titre en forme de mot d’esprit, regroupe une quinzaine de contributions de psychanalystes de différents pays, aux sensibilités les plus diverses : des freudiens aux lacaniens, des ferencziens aux bioniens en passant par les kleiniens. Ce décloisonnement est plutôt une bonne nouvelle puisque comme le disait Lacan, la psychanalyse se doit de vivre et penser avec son époque et le temps est peut-être venu de mener une réflexion globale au-delà des barrières linguistiques, sur cette situation inédite.

Dans cet ouvrage, certains auteurs viennent questionner la problématique du cadre mais aussi plus largement le contexte politique et social de l’évènement, d’autres encore choisissent de rendre compte de la spécificité de l’expérience clinique à distance. Il n’est qu’une étape dans une longue réflexion qui ne fait que commencer.

La vie « covidienne », c’est la distanciation sociale, le couvre feu, la quarantaine, les restrictions des déplacements, le lavage des mains, le port du masque.. Ces limitations ont radicalement changé le cadre habituel de la rencontre clinique de l’analyse. Ne s’agit-il pas d’inventer et d’utiliser de nouvelles modalités de travail ?

Lors du confinement, les psychanalystes n’ont pas pu recevoir de patients à leur cabinet : ils sont passés du divan à l’écran. La cure à distance, qui était hier l’exception, est en passe de devenir la règle. Sommes-nous arrivés à ce que André Green appelait « la fin du règne du divan » ?

La pandémie avec son caractère impérieux, traumatique et universel a plongé le monde dans un état de sidération et de fatigue généralisée. Un sentiment de danger constant et d’isolement a fait ressurgir des symptômes phobiques ainsi qu’une forme d’hypocondrie et un sentiment angoissant « d’inquiétante étrangeté ». Il en ressort, que pour beaucoup d’individus, 2020 a été une « année gâchée », une période dominée par la peur, l’anxiété et par un temps perdu qui ne sera jamais rattrapé. D’ailleurs, l’un des effets les plus visibles de la pandémie a précisément été l’augmentation du désespoir et du scepticisme face à l’avenir, observable notamment chez les adolescents et les jeunes adultes.

Il nous faudra du temps pour mieux observer puis théoriser les dégâts provoqués par la pandémie sur les patients et nous-mêmes, comme sur notre manière d’exercer et de comprendre la psychanalyse. Nul doute, que cette pandémie interroge notre déni « normal » de la fragilité de la vie et a rendu la mort trop visible. Elle a bouleversé notre quotidien, nos liens familiaux, sociaux et professionnels, nos sorties culturelles et festives, nos voyages. En l’espace de quelques mois, elle a balayé tout ce qui depuis toujours nous aidait à « vivre » et à supporter notre « être pour la mort ». Au cas où nous l’aurions oublié, cette séquence pandémique nous rappelle que notre monde interne a besoin d’un dehors, de liens, d’un horizon, d’un monde en mouvement pour continuer de désirer et de créer.

 

 

 

[1] Psychanalyse et vie covidienne, détresse collective, expérience individuelle, sous la direction d’Ana de Staal & Howard B. Levine, Ed Ithaque, Paris, 2021.