« Un rêve que l’on n’interprète pas est comme une lettre non lue »
Talmud Bavli, Traité Berakhot.
Deux rêves d’angoisse : le rêve d’examen et le rêve de nudité
Les rêves typiques selon Freud
Depuis L’interprétation des rêves, Freud considère le rêve comme un accomplissement de souhaits ; il réalise des désirs inaccomplis, ignorés d’un sujet. Or, cet accomplissement de désir se présente souvent comme camouflé, déguisé sous la forme de scénarios dérangeants, insolites, incongrus voire pénibles ou contrariants, où il se passe parfois le contraire de ce que le sujet désire. Comment dès lors débusquer le désir refoulé sous cet amas de « galimatias » ? Pour Freud, nulle clef des songes, chaque rêve relève d’une interprétation singulière.
Or, Freud clôt le chapitre V de l’interprétation des rêves par une brève étude de ce qu’il appelle « les rêves typiques ». Il en dénombre trois : la confusion à cause de la nudité, le rêve de la mort de personnes chères et le rêve d’examen.
Ces rêves ont trois caractéristiques : ils sont rêvés par un grand nombre de personnes, ils ont la même signification chez tous les rêveurs et ils résistent à l’interprétation singulière par associations du rêveur. Ils exigent donc une autre méthode d’interprétation. D’ailleurs, Freud reconnaît son embarras : « Notre art ne fait pas vraiment la preuve de sa validité [1]».
Aussi, se heurte -t-il à une « défaillance » et va dès lors se servir d’une méthode « auxiliaire », pour interpréter ces rêves typiques qui ont a priori le même sens chez tout le monde.
Néanmoins, nous pouvons nous étonner de la remise en question de sa méthode et nous demander si ces rêves typiques relèvent d’un accomplissement de désir, à l’instar des autres rêves.
Retenons tout de même que pour Freud, le rêve d’angoisse est aussi un rêve de désir, mais un rêve de désir conflictuel qui suscite l’angoisse du rêveur.
Le rêve d’examen
Qui n’a pas fait un jour ou l’autre un rêve d’angoisse où il échoue à son baccalauréat, doit repasser une matière ou bien redoubler ? Pourquoi devoir repasser un examen que l’on a bel et bien réussi ?
Pourquoi rêver à se faire peur, rêver d’échec ? A ce propos, Freud constate que seuls les examens réussis dans la réalité font l’objet de ces rêves. Dans les autres cas on n’en rêve pas.
Qui n’a pas connu, appréhendé la défaillance ? Comment ne pas craindre « une faille dans le savoir, dans mon savoir »[2] ? On peut se demander si : « … dans le rêve, l’idée de l’incapacité du sujet à saisir le savoir, est ce fait qu’il n’en serait jamais le maître et qu’il aurait donc toujours à faire la preuve de ce savoir[3] ». Le savoir n’est décidément jamais acquis.
Pour Freud, ce « rêve d’angoisse » surviendrait la veille d’une entreprise difficile. C’est un rêve qu’on fait avant un examen : « Chaque fois que nous attendons que le résultat nous punisse, parce qu’il y a quelque chose que nous n’avons pas fait correctement, dont nous ne nous sommes pas tirés convenablement, chaque fois que nous percevons la pression d’une responsabilité »[4].
Ce rêve angoissé serait en quelque sorte une façon d’étancher sa culpabilité, mais aussi une consolation, un réconfort, un discours rassurant tel que : « Mais n’aie pas peur de demain, songe à l’angoisse que tu as eue avant l’examen de la Matura[5], alors qu’il ne t’est rien arrivé. Puisqu’aujourd’hui tu es docteur[6] ».
Ne serait-il pas plus simple au dormeur de rêver qu’il réussit son projet ? Comment intégrer les rêves d’examen à l’intérieur de la théorie des rêves-réalisation de désirs ? A moins de se dire que cette « compulsion à la répétition » de l’échec dans le rêve soit motivée par le « désir de revivre une situation ou un conflit, afin de mieux le surmonter[7] ».
Le rêve de nudité
Une patiente relate un rêve : « Je suis à une soirée organisée par mon entreprise, j’ai un verre à la main, je plaisante gentiment avec un de mes collègues, je suis d’humeur plutôt enjouée. J’allume une cigarette et là je m’aperçois que je suis nue, complètement nue, pas même en culotte, non, nue. Je suis un peu gênée, je regarde autour de moi mais les autres continuent à parler, boire, plaisanter et ne font absolument pas attention à moi »
La patiente dit avoir ressentie de la honte de se savoir nue devant des inconnus mais elle se sent dans l’incapacité de bouger.
Freud commence par donner une définition de ce type de rêve, afin de ne pas le confondre avec le rêve courant. Il pose trois conditions : la première, c’est que le rêveur se trouve en tenue négligée. La seconde, c’est que les spectateurs ont l’air indifférent. La troisième, c’est que le rêveur en éprouve de la gêne, de la honte. Il est dans l’incapacité de bouger face à cette situation pénible. Selon lui, « Les rêves de nudité sont des rêves d’exhibition[8] ». Nous sommes à la fois en présence d’une exhibition de la nudité, mais en même temps d’une inhibition quant au mouvement.
A l’origine de ce rêve de nudité, suppose-t-il, « Il y a un souvenir de l’enfance la plus précoce [9]», et il poursuit : « C’est seulement pendant notre enfance qu’a existé une époque où nous avons été vus dans un habillement défectueux par nos proches (…), des visiteurs inconnus de nous, et à l’époque nous n’avons jamais eu honte de notre nudité [10]».
Chez beaucoup d’enfants, on rencontre fréquemment « des envies d’exhibition [11]» où la nudité les met dans une sorte d’ivresse, de jubilation, jusqu’à s’amuser à lever leur chemise, baisser leur culotte devant des gens de passage, comme l’indique Freud.
Qu’est-ce que tout cela veut dire ? Cette patiente qui se retrouve nue dans son rêve, que voulait-elle montrer ? En quoi cette « mise à nue » est-elle l’expression d’un désir enfantin de se montrer ? Souhaite -t-elle affirmer sa puissance ?
Que cherche-t-elle à dévoiler ? S’exhiber, n’est-ce pas toujours exhiber le désir afin de le faire connaître/reconnaître ? Que cherche-t-elle à découvrir ?
Ces deux rêves typiques ont en commun de plonger le rêveur dans l’embarras. Ne cesserons-nous donc jamais de nous examiner ? Comme le souligne Freud : « C’est la personne même du rêveur, qui apparaît dans chacun des rêves ; je n’ai trouvé aucune exception à cette règle. Le rêve est absolument égoïste ».
Est-ce que tous les rêves typiques ont bel et bien une signification univoque ? Comment donner d’un rêve « typique » une interprétation « atypique » ? Certes, chaque rêve typique utilise un même matériel, une même source. Mais n’est-ce pas chaque fois pour dire quelque chose d’autre, apporter une autre signification à un désir forcément singulier ?
[1] S. Freud, L’interprétation du rêve, Ed du Seuil, Paris, 2010, p.282.
[2] Ibid, p. 247.
[3] Charles Melman, Lacan tout contre Freud, Ed Eres, Paris, 2017, p. 246.
[4] S. Freud, p.316
[5] Dans plusieurs langues, le baccalauréat, ou son équivalent, est appelé Matura.
[6] Ibid, p.317.
[7] Janine Chasseguet-Smirguel, Pour une psychanalyse de l’art et de la créativité, Ed, Payot, paris 1971, p.181.
[8] S. Freud, p. 285.
[9] Ibid, p. 284.
[10] Ibid, p. 284
[11] Ibid, p. 284