« Ô Hans, du monde, il n’est qu’une chose que je voudrais savoir.
Se quitte-t-on dans le monde ? »
« Ondine » de Jean Giraudoux
« Les seconds mariages sont souvent meilleurs que les premiers. »
Sigmund Freud
« Nous nous sommes tant aimés. Les français et le divorce : cœurs brisés, lois réinventées1 » de Michelle Dayan
Nous nous sommes tant aimés. Quelle trouvaille que ce titre, emprunté au film d’Ettore Scola, pour parler du divorce ! Il retient d’autant plus notre attention qu’il évoque quelque chose d’universel : la fin d’un amour. C’est là qu’entre en scène Michelle Dayan, avocate spécialisée en droit de la famille. Depuis plus de trente ans, cette « divorceuse », comme elle se qualifie, écoute des histoires de « familles conjugales » qui tournent mal. Voilà des couples qui ne « s’entendent plus » et le « malentendu » tourne à l’impasse. Chacun se demande : Qui ai-je épousé ? Ne serait-il pas pervers ? Jusqu’où peut-elle/il aller ? Qu’est-ce qu’on aime quand on aime ? Qu’est-ce qu’elle/il veut me faire payer ? C’est l’heure comptable où le désamour a un prix.
Même si chaque divorce est singulier, il n’en demeure pas moins que cet événement de vie, tant redouté, reste une épreuve que certains vivent comme un échec psychique et affectif. Cet espoir de « bonheur conjugal » qui devait réussir, qui aurait dû « marcher » n’a pas tenu ses promesses et a débouché sur une cruelle déception. En revanche, certains sujets disent ressentir un soulagement à quitter les conflits répétitifs et insolubles, l’affrontement verbal et physique qui rendait le quotidien irrespirable.
Dans ce livre, Michelle Dayan nous propose un panorama des trois dernières décennies, où elle invite le lecteur à un véritable voyage au cœur des séparations. Au fil des chapitres, elle fait dialoguer le plus intime de chacun avec la subjectivité de notre époque. Ainsi, elle met en lumière l’évolution des lois françaises, des subtilités de la garde alternée aux récentes avancées du mariage « pour tous », en passant par la délicate question de la répartition des biens. Michelle Dayan illustre son ouvrage de cas concrets, issus de sa pratique, offrant ainsi une réflexion éclairée sur les défis actuels du droit de la famille : la modernisation nécessaire de la législation, la protection des enfants et la quête d’une équité entre les sexes.
Tous ces récits de vie, deviennent en quelque sorte des « fenêtres sur couples», ouvertes sur les vicissitudes et les turbulences du désir que traversent chacun de ses client(e)s. Elle réussit ainsi à transformer une thématique complexe en une réflexion profonde sur les transitions de la vie et sur l’art délicat de la rupture.
Laissons la parole à Maître Dayan.
« Je voudrais prendre rendez-vous avec le docteur Dayan ! ».
» Cette phrase, je l’ai entendue plus d’une fois, avant même que ne sorte la série « En thérapie » qui a permis à des millions de français d’entrer dans l’intimité du cabinet de psychanalyse du Docteur Dayan. Le docteur Dayan n’est qu’un homonyme. Je ne suis pas psy mais avocate en droit de la famille. Depuis plus de trente ans, une main tournant les pages du Code Civil et l’autre dans les « tripes » de mes clients, j’ai pris conscience de mon poste d’observation singulier. Une sorte de contrôleur du ciel qui tente d’aiguiller ces couples qui traversent des turbulences pour les aider à continuer leur route, séparés, en évitant le crash. « Nous nous sommes tant aimés. Les Français et le divorce : cœurs brisés, lois réinventées » : il m’aura fallu trois décennies pour me sentir légitime à raconter l’évolution de la société française à travers ses ruptures, dont j’ai été le témoin actif. J’ai souhaité y entremêler trois voix : celle de mes clients racontant leur histoire, celle de la loi qui a bouleversé le paysage de la famille depuis trente ans et enfin la mienne. J’ai cheminé avec ces femmes et ces hommes qui se séparent : mon regard sur les rapports entre les sexes, sur le pouvoir et l’argent, sur la garde des enfants a changé, mes certitudes ont vacillé et ma pratique professionnelle s’est adaptée pour s’en trouver parfois radicalement modifiée.
Les psychologues et psychanalystes qui ont lu ce livre m’ont unanimement fait part de la façon dont il a résonné avec leur pratique. Cela ne me surprend guère. Un cabinet
d’avocat, comme celui d’un psy, est un coffre-fort inviolable où l’on entend ce qui se dit et ce qui se tait. La souffrance s’y invite souvent. Le psychologue s’attache à l’intimité singulière du patient qui aime, n’aime plus ou ne parvient pas à aimer comme autant de drames de l’enfance qui se rejouent. Le sociologue théorise l’expérience subjective comme n’étant qu’« un prolongement des structures sociales vécues au travers des émotions. »2. Ma place d’avocate me permet une synthèse de ces deux approches en étant témoin du dialogue ininterrompu entre la singularité de l‘intimité de chaque divorçant et la collectivité et ses évolutions sociétales, sans que l’une d’elles ne soient conditionnée par l’autre. Je suis aujourd’hui intimement convaincue qu’il s’agit d’une interaction et non d’une interdépendance.
L’évolution de la prise en charge des violences intrafamiliales dont le viol conjugal fait partie et reste un tabou puissant, est emblématique de cette conversation entre l’intime et la société. J’y consacre deux longs chapitres. Depuis quelques années, la libération de la parole des femmes -et des enfants dans une moindre mesure- a libéré mon écoute et transformé ma façon d’exercer comme avocate. Désormais, mes questions sur l’existence de violences au sein de la famille se font systématiques. Le foyer familial, lieu sûr par excellence, est trop souvent un territoire dangereux, au premier chef pour les femmes et pour les enfants.
La honte précède leur silence. Je m’emploie à déverrouiller leur parole pour les protéger et les défendre. Le psy est guidé par l’inconscient de son patient. La loi ouvre les portes des secrets vers la liberté. »
L’auteure
Avocate engagée. Michelle Dayan œuvre dans le domaine du droit de la famille depuis 1997. Elle est également à la tête de L4W (Lawyers for Women), une association qu’elle a fondée en 2019 pour lutter contre les violences faites aux femmes.
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1 Michelle Dayan, Nous nous sommes tant aimés. Les français et le divorce : coeurs brisés, lois réinventées, Ed L’observtoire, Paris, 2024.
2 Eva Illouz, « La fin de l’amour, Enquête sur un désarroi contemporain », 2020.